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Roi. « Au moment de la convocation des États Généraux, ce fait prodigieux se révéla, par des avis officiellement demandés aux « personnes intelligentes » sur ce qu’il y avait à faire, et par des arrêts consécutifs et contradictoires sur les circonscriptions électorales, que le Roi de France ne savait pas bien l’histoire ni la géographie de la France. » Pour analyser l’état matériel et moral d’une pareille société, il est clair qu’il faut procéder par espèces. C’est ce qu’explique admirablement M. Lavisse dans un passage qu’on nous saura gré de citer parce qu’il a toute la portée d’une déclaration sur la méthode générale suivie par lui et par ses collaborateurs.

Si l’on veut se représenter l’état des esprits dans les dernières années de l’Ancien Régime, il faut, entre autres choses, avant toutes autres choses même, considérer telle ou telle personne dans les réalités de la vie : le justiciable, qui cherche sa loi et son juge, et qui a tant de peine à les trouver ; le marchand, qui se heurte aux chicanes des douanes et qui gémit, disait Calonne, « sous les chaînes » qui l’entravent ; le contribuable accablé de taxes directes ou indirectes, se débattant contre les règlemens souvent incompréhensibles et contre les exactions de tant d’agens souvent prévaricateurs, contre les gabelous, contre les recors des aides, qui ont le droit de fouiller la maison, ou ceux de la taille, qui prennent garnison chez lui, et enfin, s’il est sujet d’un seigneur, comme c’est le cas du plus grand nombre des paysans, contre les percepteurs de droits et de redevances, contre le meunier du moulin banal, et le préposé au four banal. Il faut penser que le pain, le sel et le vin étaient des objets dont l’usage était dangereux. (Tome IX, vol. 1, p. 412.)

Nous pensons avoir donné une idée du but poursuivi et du résultat obtenu. Ce qui frappera le lecteur non prévenu, c’est une impression de brièveté. En dépit de ses dix-huit volumes, cette Histoire de France paraît succincte, et elle l’est. C’est qu’il y a trop à dire et que les auteurs se sont refusé la facile satisfaction de développer ce qu’on trouve partout. La politique extérieure, les guerres, ont été ramenées à l’essentiel. En bien des cas, la proportion habituelle des développemens paraîtra renversée. Il est admis aujourd’hui que le rôle de l’historien est de « mettre en relief les faits essentiels, ceux qui ont une portée générale et des conséquences lointaines, ceux qui ont eu sur la suite de l’histoire une répercussion certaine. » C’est ainsi que s’expriment les « instructions » relatives à l’enseignement de l’histoire d’après les derniers programmes, rédigées sous l’inspiration de M. Lavisse, sinon de sa main. Sans doute la grande Histoire de France