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critique d’art de donner à Berlioz cette marque de haute estime ?

Oubliant très vite ses plaies d’argent, et restant plein de gratitude pour ce public anglais, si « sérieux, » si « attentif, » dont l’aptitude à s’éprendre des grands efforts, même en musique, l’avait d’abord surpris, mais, plus encore, ému, Berlioz revint à Londres plus d’une fois, toujours avec satisfaction. Quand les fonctions de membre du jury d’exposition l’y ramenèrent en mai 1851, le salon de Gore House n’existait plus, ni, je crois même, la maison ; lady Blessington était morte et reposait, depuis deux années, en terre française. Quant au comte d’Orsay, en attendant qu’une nomination in extremis de surintendant des Beaux-Arts vînt le trouver sur son lit de douleurs, il peuplait de médaillons, de bustes, de statues, sortis de ses mains, l’atelier de la rue du Cirque, et il s’évertuait, sans plus y réussir qu’un artiste de génie, à tirer parti de ce « talent » de statuaire amateur, dont Alfred de Vigny s’émerveillait, en lui recommandant l’auteur du Requiem, d’Harold en Italie, de Roméo et Juliette.


V

Pendant près de trois ans, Alfred de Vigny, retenu au Maine-Giraud par la santé précaire et plus encore, j’imagine, par la secrète volonté de la comtesse Lydia, ne revint pas à Paris, et ne revit point Berlioz. Ce n’est pourtant pas au lendemain de cette relégation en Angoumois que Vigny reçut de son ami la lettre non datée que l’on va lire :

« Mon cher de Vigny, il y a aujourd’hui deux ans et trois mois que nous ne nous sommes vus !… Je ne vous donne pas de rendez-vous, faute de pouvoir disposer avec certitude d’une heure dans la journée ; mais j’irai au faubourg Saint-Honoré demain ou après-demain dans la matinée, bien désireux de vous revoir et tout honteux d’avoir pu rester si longtemps sans échanger avec vous quelques paroles. Mille amitiés bien vives et sincères. H. BERLIOZ. »


Si, pour expliquer tout ce temps passé sans se revoir, l’absence de Vigny devait suffire, quelle raison Berlioz aurait-il de se déclarer « tout honteux ? » Je serais porté, pour ma part, à situer cette période d’indifférence après l’élection de Berlioz à