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retrouvé aucune lettre de lui, demandant à Alfred de Vigny la même preuve d’amitié. Je ne doute pas, pour ma part, qu’il ait vivement souhaité sa présence. L’Opéra venait justement de recevoir le livret de Benvenuto Cellini. Mais le premier ministre, Adolphe Thiers, amateur d’art foncièrement bourgeois, était mal disposé pour Berlioz et il semblait s’ingénier à lui barrer la route : « On m’avait nommé directeur général du Gymnase musical, — écrit Berlioz à Liszt, — Thiers me fait perdre cette place en refusant le chant au Gymnase… De plus, la Commission de l’Opéra a demandé à ce même M. Thiers d’autoriser Duponchel à contracter avec moi pour mon opéra… M. Thiers s’y refuse. » Vigny fut sans doute de ceux qui, comme Meyerbeer et Bertin, engagèrent Berlioz à se mettre « néanmoins » à l’œuvre.

Malgré les lourdes besognes imposées au compositeur par sa collaboration de critique musical au Rénovateur, à la Gazette musicale, au Journal des Débats, par l’organisation presque continuelle de concerts faiblement rémunérateurs, par la direction absorbante des répétitions d’Esmeralda, œuvre de Mlle Louise Bertin, il employa si bien les moindres loisirs de 1836, qu’il mit sur pied, dans cette année, toute la musique de Benvenuto Cellini. En décembre 1836, il ne lui restait plus qu’à écrire « la scène du dénouement » et qu’à « instrumenter » la plus grande part de l’ouvrage.

Mais, au début de mars 1837, le ministre de l’Intérieur du cabinet Molé, M. de Gasparin, un ancien préfet de Grenoble, mandait le musicien dauphinois, et lui offrait de se charger d’une grande composition pour l’anniversaire de la mort du maréchal Mortier : l’œuvre serait exécutée aux Invalides. Berlioz se mit à l’étude du texte de l’Office des morts, dont la poésie « d’un sublime gigantesque » le transporta, et il put bientôt se flatter d’en faire sortir une partition qui serait « grande. » L’idée seule de mettre au jour un Dies iræ, qui serait proféré par des centaines de chanteurs, l’enfiévrait. Le 22 mai, il écrivait à Liszt alors en Italie : « Mon Requiem est fini, je me débats avec la matière, ce sont les copistes, les lithographes, les charpentiers… » L’exécution, fixée pour le 28 juillet, devait se confondre avec la commémoration solennelle des trois journées. Dans le cours du mois de juillet, au milieu des répétitions, pour « raison politique, » une décision ministérielle intervint qui