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se brise la jambe, et qui rendra pour elle tout retour à la scène si difficile et si fâcheux, ne fait que surexciter chez Berlioz cette ferveur de sentiment qui, soulevée par de nouveaux refus, le pousse, une seconde fois, à tenter le suicide. Comme au cinquième acte d’un mélodrame, l’amant, — c’est lui qui l’a raconté, — boit une fiole d’opium sous les yeux de celle qu’il aime : on le dispute à la mort. L’actrice anglaise est vaincue ; elle consent à recevoir l’anneau de fiançailles. « Nous sommes annoncés ! » écrit Berlioz, le 3 septembre 1833, à l’un de ses intimes : dans quinze jours, tout sera fini, si les lois humaines veulent bien le permettre. Je ne crains que leurs lenteurs. » Comme il le pressentait, le jour de joie fut retardé. Le mariage, qu’avaient précédé les actes de respect signifiés par Berlioz à son père non consentant, ne se célébra, dans la chapelle de l’ambassade de Sa Majesté britannique à Paris, qu’à la date du 3 octobre.

Les semaines qui suivirent les fiançailles avaient été employées à organiser, sous cette rubrique représentation-concert Berlioz-Smithson, une soirée théâtrale au bénéfice de l’actrice. C’est pour y intéresser Alfred de Vigny et, par lui, Mme Dorval, que, le mercredi 18 septembre, quinze jours avant le mariage, le musicien écrivit au poète une première lettre, demeurée inédite, comme le sont restées, si je ne me trompe, toutes les lettres de Berlioz à Vigny et de Vigny à Berlioz, dont je reproduirai le texte.


« Monsieur, seriez-vous assez bon pour disposer en ma faveur d’une heure dans l’après-midi de mercredi prochain ? Mlle Smithson m’accompagnera. Je suis heureux de pouvoir lui procurer l’avantage de faire votre connaissance qu’elle ambitionne depuis longtemps. Elle est bien triste, bien découragée… Les suites de son accident l’éloignent encore pour quelques mois du théâtre et lui donnent une timidité qui me porte à vous prier de nous recevoir seuls s’il est possible. Vous pourrez vraisemblablement nous donner quelques renseignemens dont nous avons besoin. En outre, vous m’avez témoigné assez de sympathie affectueuse pour que je n’hésite pas à vous prier de rassurer ma pauvre Ophélie sur son avenir. Elle se croit oubliée de la terre entière : l’espérance vague que je lui ai donnée d’une pièce de vous, dans laquelle elle pourrait reparaître, la charme trop pour qu’elle ose s’y abandonner et quelques autres mots de