Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa fervente amitié à ces deux novateurs hardis, Hector Berlioz et Franz Liszt.

C’est à mettre en lumière les relations d’Alfred de Vigny avec le compositeur Berlioz que je voudrais faire servir des documens inexplorés ou inédits. Je ne m’excuserai pas de donner, avant tout, la parole aux textes.


I

J’insisterai d’abord sur l’occasion qui, dans le mois de septembre 1833, noua solidement l’amitié d’Alfred de Vigny et d’Hector Berlioz.

Ils s’étaient déjà rencontrés, et le poète n’avait pas manqué de « témoigner » au musicien « sa sympathie affectueuse. » C’est Barbier, ou Brizeux, qui avait dû conduire Berlioz aux « mercredis » de la rue des Petites-Ecuries-d’Artois. Auguste Barbier, au cours de son voyage en Italie avec Brizeux, avait fait, à Rome, en janvier 1832, la connaissance du « pensionnaire de l’Académie de France. » Les Souvenirs personnels et Silhouettes contemporaines nous l’apprennent, et cet ouvrage, généralement exact, nous fournit une indication qui est à retenir : « « Il (Berlioz) pensait déjà à traduire en musique Roméo et Juliette de Shakspeare et il me proposa de lui en écrire le libretto. Ayant d’autres choses en tête, je ne pus donner suite à sa demande. Shakspeare était alors son poète favori : il le lisait sans cesse. À ce culte il ajouta, depuis, une autre idole, Virgile, et toute sa vie se passa dans l’adoration de ces deux grands génies. » Dans cette rencontre, Berlioz et Barbier ne s’entretinrent sans doute que de Shakspeare ; mais, dès ce moment, quoi qu’en dise Barbier, Berlioz lisait l’Enéide et songeait à s’en inspirer. Une lettre de lui, écrite de Rome, le 12 janvier 1832, quatre ou cinq jours avant l’arrivée des deux jeunes poètes, nous peint l’état d’exaltation du futur auteur des Troyens « en voyant un soir le soleil se coucher derrière le cap Misène, pendant que du sublime paysage illustré par Virgile semblaient surgir, rajeunis, Enée, Iule, Latinus, Pallas, le bon Evandre, la résignée Lavinie, Amata, le malheureux Turnus et tout le bataillon de héros aux panaches flottans dont le génie du poète a peuplé ce rivage. Les mots ne peuvent rendre l’effet d’un tel magnétisme de souvenirs, de poésie, de lumière, d’air pur, d’horizon rosé, de créations