Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Français. En Ecosse, c’est encore pis ; il suffira de citer à titre d’exemple certain roman très connu où une jeune fille élevée en France est sévèrement réprimandée et traitée d’âme perdue pour avoir joué du piano le dimanche !

Tout le XIXe siècle est marqué de cette manie de l’observation du dimanche, et l’on commence à peine à la secouer aujourd’hui. « Vers 1835, il y eut une forte recrudescence de sabbatisme. Les séances et les dîners du Conseil des ministres n’eurent plus lieu le dimanche, et on cessa en même temps d’avoir d’autres réunions ou réceptions ce jour-là. Quand les chemins de fer devinrent plus nombreux, on chercha à empêcher les gens de voyager le dimanche, ou tout au moins à ne pas laisser circuler les wagons de troisième classe. Rœbuck aurait voulu voir fermer les cercles, Hyde Park et le Jardin Zoologique, et s’efforça en vain de faire mettre à l’amende les évêques et le clergé qui se rendaient à l’église en voiture. Et plus tard, Palmerston fut obligé de faire droit à la demande de l’archevêque de Canterbury que, par égard pour l’opinion publique, on ne permît plus à la musique militaire de se faire entendre le dimanche dans Kensington Gardens et ailleurs[1]. »

L’exemple le plus féroce de sabbatisme se trouve dans un sermon prêché peu de temps après l’horrible catastrophe du pont sur la Tay. Le pont du chemin de fer passant à l’embouchure du fleuve se rompit et le train, précipité dans le vide, fut englouti avec tous les voyageurs. Ce malheur eut lieu un dimanche : aussi certain prédicateur ne manqua-t-il pas de démontrer à ses auditeurs que c’était bien un châtiment du ciel pour ceux qui, profanant le « jour du Seigneur, » voyageaient ce jour-là pour leur plaisir ou pour leurs affaires.

Cette manifestation de l’esprit puritain est celle qu’un étranger remarque tout d’abord ; mais la vie tout entière subit l’influence du puritanisme. La famille et l’Etat, la vie individuelle et la vie sociale, sont encore aujourd’hui plus ou moins constitués sur les anciennes bases puritaines. Il en résulte sans doute une certaine vigueur, une certaine énergie chez l’individu ; il a peut-être en général plus d’initiative que chez les races latines, mais la vie intellectuelle s’en trouve amoindrie, les instincts artistiques appauvris. La volonté se roidit, la

  1. Social England, par H. D. Traill D. C. L. et J. S. Mann M. A.