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même y dispose ; l’éducation, la tradition et les coutumes font le reste : aussi, à part quelques révoltés violens, qui poussent en général leurs théories jusqu’à l’excès contraire, l’hédonéphobie, à des degrés différens, est un fait presque général.

Sa manifestation la plus connue en Angleterre est le repos dominical. Le dimanche n’a rien d’un jour de fête, d’un jour joyeux que ceux qui travaillent peuvent passer en famille. Pour les gens pieux, c’est le véritable sabbat des Juifs, — pour les autres, un jour de morne ennui. Que l’on passe un dimanche en Angleterre et l’on constatera que le « jour du Seigneur » n’est guère moins triste au XXe siècle qu’il ne l’était au XVIIe. A Londres on ne reçoit pas de lettres ; en province il y a une seule distribution. Les journaux quotidiens ne paraissent pas ; on peut se procurer de rares feuilles hebdomadaires. Les magasins sont fermés ; on n’a même pas de pain frais, et c’est à peine si l’on trouve un restaurant ouvert. Les buffets dans les gares ouvrent après l’heure des offices religieux, mais on vous demande votre billet avant de vous servir quoi que ce soit, les véritables voyageurs y ayant seuls droit ce jour-là. Même les heures des trains sont changées. Bien entendu, tous les théâtres font relâche : toutefois, depuis quelques années, on permet certains concerts, et un ou deux musées sont ouverts au public. Tout le monde a congé, et tout le monde s’ennuie. Le peuple n’a d’autre ressource que d’aller à l’église ou au cabaret. Les ouvriers se promènent sans doute, ils s’en vont même quelquefois en famille à la campagne ; mais rien ne rappelle la bonne gaieté, le repos agréable du dimanche parisien. On s’ennuie consciencieusement, et on a si bien l’habitude de le faire que les autres jours de fête prennent un peu, par analogie, l’aspect du dimanche. De plus, cet état d’esprit ne se rencontre pas seulement dans le peuple ; la bourgeoisie, les gens instruits et cultivés se soumettent aussi à la superstition du dimanche. Beaucoup de personnes trouvent immoral de jouer au tennis ou de faire de la bicyclette ce jour-là ; on défend aux enfans de travailler ou de s’amuser ; l’ouvrage à l’aiguille est interdit. Quelle conception d’un jour de fête ! Et ce n’est pas qu’on soit plus pieux en pays protestant qu’ailleurs ; on n’a qu’à comparer les catholiques en Angleterre et les catholiques en France : à piété égale, on constate à peu près la même différence dans leur façon de passer le dimanche, qu’entre celle de tout autre Anglais et de tout autre