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pratiquer la vertu, dit l’évêque Wilson, elle se distinguerait à peine d’une sorte de sensualité. » Seuls l’effort, la contrainte sont méritoires ; seules les actions déplaisantes trouvent grâce à leurs yeux, et, plus que tous les autres, le plaisir esthétique leur paraît dangereux.

Loin de condamner la beauté en elle-même, l’Eglise catholique cherche à la faire servir aux intérêts de la religion. Elle adapte la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture à ses besoins spirituels. Elle donne droit de cité aux riches étoffes, aux pierreries, à l’encens, en les consacrant à la gloire de Dieu. Elle adopte les vieilles fêtes païennes en les rebaptisant, et ne trouve pas déplacé qu’un Raphaël idéalise les traits de sa maîtresse pour représenter la Sainte Vierge. Même le plus frivole des arts, la danse, contre lequel tonnent les prédicateurs puritains, est converti ad magnam Dei gloriam dans la jolie légende du Jongleur de Notre-Dame. Le protestantisme, à plus forte raison le puritanisme qui en est l’exagération, n’a rien de si compréhensif, rien de « catholique, » pourrait-on dire sans jeu de mots en employant ce terme dans son vrai sens d’universel. Tout ce qui se trouve en dehors de ses limites étroites, il le traite d’idolâtre et le supprime.

Enfin, dernier trait qui distingue les puritains des ascètes catholiques ; ceux-ci s’imposent surtout à eux-mêmes les privations et les mortifications, ceux-là en veulent toujours au prochain. Un de leurs partisans, parlant des prédicateurs du XVIIe siècle, dit qu’ils « se rendaient populaires en prêchant contre les péchés de la cour, ce qui enchantait le peuple qui n’avait pas de part à de tels péchés. » Ils dénoncent les fautes des autres plutôt que de se mettre en garde contre les leurs, et le poète satirique royaliste[1] n’exagère guère en disant de ses adversaires politiques que, pour compenser les péchés qu’ils aiment à commettre, ils condamnent ceux qui ne les tentent pas. C’est les accuser nettement d’hypocrisie.


III

Le puritanisme moral se distingue donc des autres formes de l’ascétisme philosophique et religieux en ce qu’il est la haine

  1. Samuel Butler, Hudibras.