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MÉRIMÉE.

Il a cru que l’Aiguille de Vienne marquait l’emplacement d’une tombe, et il semble maintenant établi qu’elle décorait le milieu de la Spina d’un cirque romain. Des archéologues avignonnais le vitupèrent, parce qu’il prit pour la chambre de la torture la cuisine du palais des papes. Lui-même s’était d’avance disculpé en écrivant dans l’avant-propos de son Voyage dans le Midi : « Il est rare d’arriver du premier coup à la vérité, mais on doit s’estimer heureux quand on est cause que la vérité se découvre, dût-on soi-même être convaincu d’erreur. » Or, en protégeant les vieilles pierres, il s’est chargé d’assurer la découverte de la vérité. Lorsqu’ils raillent ses erreurs, nos archéologues sont ingrats : où donc iraient-ils prendre aujourd’hui leurs argumens, si les édifices, objets de leurs controverses, avaient disparu ? Pour nous, peu nous importe que Mérimée se soit trompé sur la date ou la destination d’un monument, si c’est grâce à lui que ce monument est encore debout.

Ils sont nombreux, les titres de Mérimée à notre reconnaissance. D’abord seul, de 1834 à 1837, puis avec le concours des membres de la Commission des monumens historiques, il mène contre les vandales un combat sans trêve. Sous le second Empire, alors qu’il s’est démis de ses fonctions, et jusqu’à la fin, même lorsque la maladie l’éloigné de Paris, il continue de s’intéresser à la sauvegarde des monumens. En 1869, il recommande encore à Viollet-le-Duc de parler au maître de la désorganisation du service des monumens historiques.

Il sait les ressources et les ruses de ses adversaires, le mauvais vouloir des administrations, l’insuffisance des crédits affectés à son service, et il consacre tous ses efforts à l’entreprise de conservation, qui, à ses yeux, prime toutes les amusettes archéologiques. Il faut l’entendre envoyer promener son excellent ami Requiem, acharné à réclamer une subvention pour les fouilles de Vayson : «… Il est d’ailleurs assez indifférent que les objets antiques demeurent sous terre un an de plus ou de moins. Ils s’y conservent fort bien ; tandis que les monumens que l’on peut réparer avec l’argent des fouilles ne veulent souvent pas attendre… » Ce sont les monumens qu’il défend contre leurs innombrables ennemis.

Parfois il a échoué, parfois il a trop bien réussi, car les architectes auxquels ces monumens furent confiés ont achevé ce que le temps et la malice des hommes n’avaient pu détruire.