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Son but n’est pas douteux. En tenant les bas côtés dans la demi-teinte, on a voulu faire valoir la vive lumière qui se projette par les fenêtres du chœur sur la partie la plus sainte du temple. On y attire l’œil forcément ; on l’oblige à se diriger vers le ciel. Cette idée n’est-elle pas celle qui a présidé à toute la fabrique gothique ? et ces longues lignes verticales, caractère constant de cette architecture, multipliées surtout dans les chœurs, n’ont-elles pas une destination semblable ? À une époque où la première des sciences était la religion, on ne doit pas s’étonner de ces allégories mystiques, dont le plan et les détails de nos églises offrent d’ailleurs tant d’exemples. »

Cette observation juste et délicate est la meilleure réponse au reproche que M. Filon adressait à Mérimée.

Celui-ci a donc senti toute la beauté des édifices religieux du xiiie siècle. Là, il est vrai, s’arrête son admiration, et son goût proteste contre le luxe un peu désordonné des monumens gothiques édifiés dans les siècles suivans. Il déteste le flamboyant. Dans la cour du château de Josselin, comme dans l’église de Brou, il ne voit que « fantaisies bizarres et tours de force. » Cependant de sa répugnance il se gardera de faire une théorie. Il a trop de sensibilité artistique pour donner dans le système et se refuser le plaisir d’admirer lorsqu’une œuvre lui paraît admirable. « Presque partout, dit-il, les derniers ouvrages de l’architecture gothique sont mesquins et manquent de caractère. Les plans sont d’ordinaire timidement conçus, et toutes les proportions des édifices semblent accuser le besoin de l’économie. Ce n’est que dans les détails que les artistes osent donner carrière à leur imagination ; encore se montre-t-elle plutôt par des tours de force que par des inventions gracieuses… » C’est à Nantes qu’il écrit ces lignes ; elles précèdent un bel éloge de la cathédrale, laquelle pourtant fut bâtie au xve siècle. Et, en Avignon, il saura goûter l’élégance de la délicieuse façade de l’église Saint-Pierre.

Enfin nul n’a mieux exposé comment à la fin du moyen âge l’architecture se renouvela pour s’accommoder au nouvel état de la société. Ces idées-là ont été souvent reprises et développées. Mais Mérimée avait tout dit dans une page qui est un chef-d’œuvre de concision : « Du même siècle datent et le perfectionnement de l’art de bâtir, qui se manifeste par la régularité de l’appareil et l’emploi fréquent des plates-bandes, et le