Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
775
MÉRIMÉE.

une politesse pleine de grâce, » il admire ce lieu si bien choisi pour l’étude. « Suffisamment isolés, dit-il, pour que les visites des curieux ne soient pas trop fréquentes, les Bénédictins de Solesmes, en présence d’une belle nature, peuvent et doivent passer doucement leur vie loin du bruit des villes, avec la pensée consolante de laisser après eux des ouvrages durables. » Et, devant les ruines de l’abbaye de Beaufort, près de Paimpol, il remarque la situation pittoresque des vieilles abbayes et ajoute : « Il faut que les habitudes contemplatives de la vie ascétique aient de tout temps donné à l’esprit le sentiment du beau abstrait, indépendant de toute idée d’utilité réelle. Assuré d’une existence uniformément douce, borné dans ses plaisirs et son ambition, plus qu’aucun autre à l’abri, par son caractère sacré, des revers de fortune, le moine du xiiie siècle pouvait et devait aimer le beau pour lui-même. Et tandis que le chevalier en guerre avec tout le monde ne songeait qu’à se bâtir une forteresse imprenable, l’abbé embellissait sa demeure et goûtait les jouissances que donnent l’imagination et les arts. » Sans doute, cela n’est ni du Chateaubriand, ni du Montalembert, mais ce n’est pas non plus du Stendhal.

Mérimée a l’esprit assez libre, l’intelligence assez ouverte pour discerner la pensée religieuse, chaque fois qu’elle inspire la construction ou l’ornement d’une église du moyen âge. On en trouve maintes preuves dans ses notes de voyage. Je me contenterai de citer cette page bien significative.

Il examine les verrières du chœur de Saint-Julien du Mans : « J’étais, dit-il, d’abord tenté de regarder les verrières des bas côtés du chœur comme plus anciennes que celui-ci ; je supposais qu’elles provenaient du chœur roman, car j’observais un système de coloration et d’exécution bien différent de celui que je remarquais dans les fenêtres élevées. Les premières, en effet, moins éclatantes de ton, ont pour couleurs dominantes le bleu ou le pourpre foncé, tandis que le rouge clair et jaune éblouissent les yeux lorsqu’on les lève vers la haute voûte du chœur. Enfin, dans les fenêtres basses les morceaux de verre sont plus petits, les joints par conséquent plus multipliés que dans les fenêtres hautes. En examinant ces verrières avec plus d’attention, je ne tardai pas à abandonner ma première opinion. Le même fait se reproduisant dans toutes nos églises, il est impossible qu’il ne se rattache pas à un système complet et raisonné.