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Sur la foi de cette boutade qui montre le fond classique de Mérimée, il ne faut pas croire que celui-ci ait été insensible à la splendeur de l’art du xiiie siècle. Il a aimé et compris le sublime paradoxe de l’architecture ogivale. Il l’a défendu contre les attardés de la secte académique, et il s’est même efforcé sans y réussir de convertir des Romains entêtés comme Stendhal, qui, — Mérimée lui-même l’a conté. — prétendait que « nos églises sombres et lugubres avaient été inventées par des moines fripons qui voulaient s’enrichir en faisant peur aux gens timides. »

M. Augustin Filon, le seul critique qui ait encore tenté de résumer et d’apprécier les idées archéologiques de Mérimée, accorde que celui-ci a parlé très savamment du gothique, mais d’après des règles techniques, sans avoir égard au caractère particulièrement religieux de cette architecture. « Ainsi, dit-il, cette poésie si riche écrite sur les murailles comme sur des pages immenses pour être lue d’ici-bas et de là-haut, ce symbolisme sans frein, cette idéalisation à outrance qui fit une prière, un rêve quelque chose d’immatériel avec ce qu’il y a de plus matériel au monde, là pierre de taille et le moellon, enfin l’étrange disposition de ces siècles qui vécurent par l’esprit, en plein miracle, et tentèrent avec une sorte de succès d’anéantir le corps ; tout cela, Mérimée ne sut pas l’apercevoir ou ne voulut pas l’admirer. » J’ai lu toutes les notes de voyage de Mérimée, et mon impression n’a pas été tout à fait celle de M. Augustin Filon. D’abord, je crains beaucoup que nous ne cédions à notre imagination, lorsque nous attribuons à l’architecture gothique un caractère essentiellement religieux. L’ogive fut un nouveau procédé de construction imaginé au xiie siècle par des architectes hardis, peut-être téméraires. On l’appliqua non seulement dans l’église, mais aussi dans la salle capitulaire, et jusque dans les cuisines du monastère, dans la grande salle du château, dans la maison de justice et dans le parloir aux bourgeois. Il y a du symbolisme dans une cathédrale gothique, il y en a beaucoup. Mais tout n’y est pas symbole, et il est dangereux de vouloir à toutes forces découvrir une intention mystique dans ce qui n’est, le plus souvent, qu’expédient d’architecture. Notre-Dame est un acte de foi, c’est aussi la résultante de quelques équations.

Mérimée était furieusement irréligieux, mais il ne tombait que rarement dans le gros et niais anticléricalisme de son ami Béyle. Visitant Solesmes où l’abbé Guéranger le reçoit « après