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affaire à eux-mêmes ; sous leur nom, par leur bouche, l’un propose, l’autre se dérobe, l’un donne, l’autre retient, et tout le monde finit par être dupe d’un prétendu excès d’adresse où le dupeur est peut-être le premier dupé.

« Adapté » sans retard à la situation parlementaire telle qu’elle paraissait définie par les élections législatives, M. Briand, conformément à la promesse faite en prenant contact avec la nouvelle Chambre, déposa, le 30 juin 1910, un projet de loi « portant modification aux lois organiques sur l’élection des députés. » Qu’est-ce que ce projet, et que vaut-il ? Depuis huit mois qu’il est livré aux controverses, et que pas un jour ne s’est écoulé sans qu’on m’en parle ou que j’y pense, j’en ai entendu dire tant de choses, deviné ou soupçonné, si ce n’est (auquel cas, je m’en accuse) imaginé tant d’autres, que j’aurais peur, le jugeant aujourd’hui, de ne pas le juger impartialement. Je préfère me reporter à mes premières impressions : voici donc ce que j’écrivis dans la marge, le soir même où je le reçus :

« Ce n’est pas ici le projet d’un gouvernement préoccupé de résoudre une des plus grandes questions politiques, la plus grande peut-être qui se pose dans l’Etat moderne. Le ton dont l’exposé des motifs du projet de loi parle de la « théorie » et des « théoriciens, » d’« hypothèses purement théoriques, » autorise sans doute à en faire la remarque. Et les théoriciens n’en seront point étonnés : à vrai dire, ils s’y attendaient bien un peu ; ils ne retiennent pas beaucoup l’attention de M. le président du Conseil, qui est un homme pratique, « un homme de réalisation. » Ils veulent philosopher, M. le président du Conseil veut vivre, et cela met entre eux et lui de la distance.

« Théorie et théoriciens à part, le projet de loi est en somme tel que pouvait le présenter un président du Conseil qui se trouve avoir à ménager, dans son ministère même (il s’agissait de l’ancien), les opinions les plus diverses, pour ne pas dire les plus opposées : proportionnantes invétérés et ardens ; proportionnalistes récens, mais ébranlés ; partisans du scrutin de liste touchés par la sécurité que donne aux gens en place le bon vieux scrutin d’arrondissement ; partisans du scrutin d’arrondissement que la force des choses convertit, malgré eux, au scrutin de liste. (Maintenant, c’est plus simple : M. Briand, voulant la réforme électorale, a composé son second ministère d’hommes politiques qui, pour la plupart, ne la veulent pas ; qui, du