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MÉRIMÉE.

me l’apprendrait, que sa dédaigneuse insouciance me guérirait de mes puériles susceptibilités. Je croyais qu’il avait souffert comme moi, et qu’il avait triomphé de sa sensibilité extérieure. Je ne sais pas encore si je me suis trompée, si cet homme est fort par sa grandeur ou par sa pauvreté. Je suis toujours portée à croire le premier cas. Mais à présent, peu m’importe. » Cette victime, c’était George Sand. La désillusion avait été amère. Mais à quoi pensait l’obligeant Sainte-Beuve, le jour où il s’était avisé de recommander Prosper Mérimée à la sollicitude de George Sand ?

La Révolution de 1830 n’avait pas été inutile à Mérimée. Elle avait fait de lui d’abord un maître de requêtes, puis le chef du cabinet de M. d’Argout. Celui-ci quitta le ministère en 1834, et, selon une coutume qui, chacun le sait, est depuis longtemps tombée en désuétude, « casa » son chef de cabinet. Le poste d’inspecteur des monumens historiques était vacant, Vitel qui l’occupait ayant été nommé conseiller d’État. Il y fallait un antiquaire, et ce fut Mérimée qui l’obtint. Mais la Providence, à laquelle Mérimée ne croyait point, veillait sur les monumens français. D’un jeune homme qui, jusqu’alors, avait mis tous ses soins à écrire comme Voltaire et à se cravater comme Brummel, elle fit le plus zélé des fonctionnaires et le plus consciencieux des archéologues.

Pour comprendre combien fut difficile et glorieuse l’œuvre accomplie par Mérimée, on doit se rappeler qu’en 1834, la science des antiquités nationales était encore toute nouvelle.

Depuis quatre siècles, le monde moderne pleurait sur les ruines de la civilisation antique, maudissait le sacrilège des Barbares et recueillait pieusement les débris de la Grèce et de Rome. Dans la ferveur de ses enthousiasmes et de ses regrets, il se détournait avec horreur des monumens qu’avaient édifiés, durant le moyen âge, les ennemis du nom latin. Les humanistes de la Renaissance avaient fondé l’archéologie grecque et l’archéologie romaine ; plus tard, des érudits, comme Winckelmann, y avaient appliqué la rigueur des méthodes scientifiques. Les cabinets des amateurs regorgeaient de sculptures, d’inscriptions et de médailles antiques. Les restes des monumens romains étaient vénérés, étudiés, reproduits de toutes les manières. Mais jusqu’à la fin du xviiie siècle, personne ou presque personne