Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’aujourd’hui. Laquelle l’emportera ? Mais ici il faut préciser.

Un journal qui, grâce aux polémiques vigoureuses de son directeur, M. Henry Bérenger, a pris depuis quelque temps de l’importance, nous servira à mieux nous faire entendre. L’Action a soutenu très fermement et très courageusement M. Briand, mais son directeur s’appliquait le plus souvent à désarmer les défiances de la Gauche en montrant que dans le domaine politique, scolaire, économique, social, M. Briand était aussi avancé qu’elle et que les projets de loi qu’il avait déposés en étaient la preuve. Que fait aujourd’hui le même journal ? Après la démission de M. Briand, il s’est livré pendant quelques jours à des accès d’humeur chagrine ; puis, peu à peu, voyant à l’œuvre le ministère Monis, il commence à s’adoucir à son égard parce qu’il constate que ce ministère n’abandonne aucune des réformes de son prédécesseur. M. Monis vient même d’en faire voter par la Chambre une des plus mauvaises, la rétroactivité des retraites des cheminots. M. Bérenger s’en réjouit, il se rapproche de M. Monis, il s’apprête à lui donner sa confiance, ne voyant presque plus de différence entre M. Briand et lui. C’est réduire la question à des élémens beaucoup trop simples, et il y a là une équivoque à dissiper. Nous rendons à M. Briand la justice qu’il se rendait lui-même très loyalement. Combien de fois n’a-t-il pas répété à ses adversaires de gauche qu’ils n’étaient pas, eux et lui, en désaccord sur le programme à exécuter, mais sur la méthode de gouvernement à appliquer ? Pour nous, c’était le contraire : nous n’avions pas le même programme que M. Briand, mais nous avions la même conception du gouvernement et de la manière large, équitable, tolérante dont il devait se manifester. L’originalité de M. Briand n’était pas dans un programme que le premier radical-socialiste venu pouvait concevoir comme lui ; elle était dans ses idées d’apaisement et de conciliation, dans cette pensée qu’il a si souvent énoncée qu’après la victoire définitive de la République, il fallait renoncer aux mœurs publiques qu’une lutte violente avait créées et en adopter de nouvelles ; enfin dans cette affirmation qu’il y avait en France un patrimoine commun à tous les citoyens qui ne devait pas être éternellement le butin de guerre de quelques-uns. Quand l’histoire parlera de M. Briand, c’est par ce côté-là qu’elle le distinguera du vulgaire et qu’elle le jugera. Eh bien ! il s’agit aujourd’hui de savoir si cette partie essentielle de son œuvre lui survivra, ou si elle disparaîtra avec lui. L’autre, la partie législative, si contestable et sur plusieurs points si dangereuse, peut fort bien être continuée par des comparses ;