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qu’on accuse d’illégalité, rencontre enfin un homme honnête, qui livre… » Ces paroles ont soulevé la tempête ; elle s’est déchaînée avec une violence extrême ; M. le président du Conseil a été sommé de retirer l’expression dont il s’était servi et, pendant assez longtemps, il lui a été impossible de parler. Il n’y est même jamais complètement parvenu et y a d’ailleurs renoncé très volontiers. De part et d’autre, les argumens étaient remplacés par des manifestations bruyantes. Pour donner aux leurs plus d’étendue apparente, les membres de la Gauche avaient envahi les bancs du Centre et de la Droite et y faisaient grand tapage. Les adversaires du Cabinet huaient M. Monis ; ses amis tremblaient qu’il ne parlât, sentant bien qu’alors tout serait compromis ; les uns et les autres semblaient d’accord pour étouffer sa voix. Les orateurs qui devaient lui répondre y ont renoncé et finalement il a obtenu une majorité de 363 voix contre 103, digne conclusion d’une séance qui ne devait faire faire au gouvernement parlementaire aucun progrès dans l’estime publique.

L’intervention de M. Jules Roche a certainement contribué à ce résultat ; il faut bien avouer qu’elle a été fâcheuse et pourtant elle était parlementairement correcte. M. Jules Roche disait que, bien qu’il reconnût la légalité de la mesure prise par le gouvernement, il voterait contre les crédits demandés pour la consacrer, parce qu’il n’avait pas confiance dans le ministère. Cela a paru trop subtil pour l’intelligence de l’assemblée. Il y avait pourtant un homme qui aurait pu le lui expliquer mieux que personne, et c’était M. le président du Conseil lui-même. La première fois que nous avons eu un Cabinet radical, constitué alors sous la présidence de M. Léon Bourgeois, les intérêts conservateurs se sont sentis menacés, et ils n’ont pas eu, au Sénat, de défenseur plus ardent que M. Monis. Il était à la tête de l’opposition ; il a pris la parole pour combattre le Cabinet ; il a contribué plus que personne à le renverser. Et sur quelle question ? C’est ici que l’affaire devient piquante. Le ministère demandait un crédit pour rapatrier nos troupes après l’expédition de Madagascar. Si jamais crédit a été nécessaire et urgent, c’était celui-là ; le ministère n’avait pas de peine aie démontrer ; mais M. Monis lui répondait impérieusement que, bien qu’il ne méconnût pas le caractère du crédit qui était indispensable en effet, il ne le voterait pas à un gouvernement qui n’avait pas sa confiance. M. Bourgeois est tombé et, le lendemain, M. Monis a voté le crédit sans se faire prier davantage. Il était alors « l’homme honnête » qu’est aujourd’hui M. Jules Roche ; il tenait le même langage que lui ; il prenait la même atti-