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pas où leurs aînés avaient si bien réussi. On a eu raison de le croire. Le Théâtre des Arts est à cette heure une des plus divertissantes expositions de peinture. La partie littéraire est par malheur ce qui laisse un peu à désirer. On sent qu’elle n’a pas été prévue dans le programme. On ne s’en plaint pas quand, à défaut de nouveautés, la direction nous offre un ballet de Molière, le Sicilien, avec la musique de Lulli, ou lorsqu’elle reprend Fantasio.

Fantasio est une des pièces qui, dans le théâtre de Musset, souffrent le plus d’une représentation vulgaire. Elle a toujours été affreusement montée. M. Georges d’Espagnat, qui est un peintre délicat, en a fait quelque chose de tout à fait joli. Il a composé un cadre du plus charmant rococo bavarois, où se meuvent à souhait le lyrisme et la préciosité romantiques de Musset. Il ne fallait pas moins que cela pour rendre quelque vie au héros de cette fantaisie. Le rôle de Fantasio est tenu avec beaucoup de jeunesse et de feu par M. Gaston Dechamps. Il a beau faire, beaucoup de choses qui plaisent encore à la lecture, par la magie du style, paraissent aujourd’hui assez froides à la scène. Ce qui ressort, au contraire, avec une vie inattendue, ce sont les parties de farce et de caricature. Ce théâtre de Musset est plein de fantoches délicieux, de grotesques ou d’ahuris, dont le comique un peu outré ne manque pas de saveur ; le prince de Mantoue et son officier d’ordonnance inaugurent la lignée des Blasius, des Bridaine, de cette humanité falote qui sera celle des comédies de Meilhac et Halévy, le Petit Duc ou la Grande-Duchesse de Gérolstein.

On sait que M. Camille de Sainte-Croix a entrepris de jouer toutes les pièces de Shakspeare. Il poursuit son dessein avec une obstination méritoire et un doux entêtement. Il n’a ni théâtre, ni troupe ; mais la bonne volonté lui en tient lieu. Sans lui, nous n’aurions jamais entendu Peines d’amour perdues. Et c’eût été dommage, car on ne sait pas, si on ne l’a entendue, ce que ce peut être qu’une pièce toute en concetti et à quel état d’exaspération elle peut amener le spectateur respectueux d’un grand nom.


RENE DOUMIC.