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mille francs que son voleur inconnu et repentant lui envoyait sous enveloppe à titre de restitution ; enfin la femme du bijoutier est la maîtresse du jeune Portal. Nous n’apercevons pas encore nettement, mais nous soupçonnons qu’un lien doit exister entre cette affaire d’État et cette affaire de famille. Tous ces points noirs vont se rejoindre, tous ces nuages vont se condenser, et l’orage dont ils étaient gros va éclater au second acte, l’acte de drame, d’un drame serré, intense, qui va nous mener dans un crescendo d’émotion jusqu’à une minute extraordinairement pathétique.

Une conversation de Moreau-Janville et de son compère Mayence nous met d’emblée dans le secret : le carnet dénonciateur a été remis au fils Portal ; le fils Portal l’a vendu cent mille francs à Mayence ; il s’est procuré ainsi la somme dont il avait besoin pour faire au bijoutier Claudel une pseudo-restitution et de cette façon empêcher celui-ci, qui était à la veille de déposer son bilan, de s’expatrier et par conséquent d’emmener Mme Claudel. Le tribun ignore tout. Peu à peu, par déchirures successives, le jour va se faire à ses yeux, la vérité va lui apparaître. Cette progression dans la découverte donnera à l’acte son dessin et son mouvement. Portal est déjà en possession d’un premier indice : il a reconnu sur le livre de la poste l’écriture de son fils : c’est Georges qui a envoyé les cent mille francs. Cette somme énorme, d’où peut-il la tenir ? Une explication baroque et mensongère du jeune homme ne l’abuse qu’un instant. Les insinuations de Mayence et de Moreau-Janville l’ont bientôt remis sur la véritable piste. Soudain l’évidence éclate : ces cent mille francs sont le prix d’une trahison. Lui, Portal, a pour fils un voleur et un traître ! Il fera justice. Un coup de téléphone au procureur de la République. Dans un quart d’heure, Georges sera arrêté. Sous le regard implacable de ce père justicier, le fils ne cherche plus à se défendre et le consulte seulement-sur le verdict : « Papa, faut-il que je me tue ? » Cette phrase, qui n’est pas une phrase, ces mots, si simples, si vrais, et qui tout d’un coup font rentrer en scène celle qu’on oubliait, la nature, sont la parole magique qui dégrise le tribun de son enivrement stoïque et l’éveille de son cauchemar romain. Il suffoque, il est près d’étouffer, il ouvre la fenêtre, respire un peu d’air. Déjà, il n’est plus le même homme. Quand arrive le procureur, il lui bredouille on ne sait quelle histoire qui n’a aucun rapport avec l’affaire en question. Car on ne livre pas son fils. Brutus n’était pas un héros : c’était un monstre. Brutus n’a qu’une excuse : c’est de n’avoir jamais existé…

Cet acte est, pour la franchise de l’exécution, pour la vigueur de la