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n’a plus que des monumens funéraires, qui, tels des sentinelles de mort, se dressent dans les cimetières. » En d’autres termes, l’expression rituelle ou dogmatique du sentiment religieux s’émousse avec le temps, la croyance devient inerte et, si nous laissons prédominer les pratiques, elle finit par s’éteindre et mourir. La religion chrétienne, quelque surnaturelle qu’elle soit, est obligée de se manifester par des organes humains et n’échappe pas à cette loi de déclin. Des hommes de foi se lèvent alors qui, enflammés de zèle, brisent les vieux cadres, frayent au sentiment religieux des voies nouvelles et, par des moyens extraordinaires, raniment la religion engourdie. C’est ce qu’on appelle des Réveils. Le mouvement salutiste est un Réveil, mais il offre des caractères, qui le distinguent et des réformes catholiques, et des mouvemens protestans.

D’abord, au lieu de prôner le célibat ecclésiastique ou d’employer séparément des moines ou des nonnes, l’Armée du Salut emploie comme évangélistes des femmes, concurremment et sur pied d’égalité avec les hommes. En second lieu, elle use de la méthode « agressive, » pour employer l’expression de Catherine Booth. Au lieu d’attendre que les parias de la société l’appellent au secours, elle va au-devant d’eux, les prend par la main pour les relever, berce leur douleur par ses chants et ses prières, parfois même leur fait une douce violence.

Elle ne tient aucun compte des distinctions religieuses, politiques ou ethniques des gens à qui elle s’adresse ; elle fait preuve de la plus large tolérance, ne fait pas de prosélytes pour telle ou telle secte ; elle s’efforce seulement de recruter de nouveaux « sauveteurs » parmi ceux qu’elle a sauvés de l’abîme de misère où ils périssaient.

Si elle respecte les croyances particulières et ne poursuit qu’un relèvement moral, librement consenti, en revanche, elle exige de tous, à quelque grade qu’ils soient placés, une obéissance militaire. Le général exerce la dictature du bien. C’est ainsi que deux de ses fils, qui commandaient aux Etats-Unis et en Australie, n’ayant pas voulu se conformer à la règle et changer de poste, furent exclus de l’Armée du Salut.

Elle ne sépare pas le souci des besoins physiques du bien moral et, se souvenant du proverbe si vrai : Ventre affamé n’a pas d’oreilles, elle commence par nourrir les misérables avant de les chapitrer, mais elle ne leur fait pas l’aumône.