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Advient-il que ton brave esprit de chien renonce
Au plaisir d’accourir vers moi dans le jardin,
Au bonheur de sentir ta tête dans ma main,
Ou de dormir le cou sur mon pied immobile,
A tout ce que ton âme ingénue et docile
Peut recevoir de joie et de contentement,
Parce qu’il reste au seuil et au commencement
De l’homme interminable et profond que je traîne,
Et qui contient en lui toute la race humaine,
La terre, le soleil, l’univers et les temps,
Que mes arrière-plans te semblent trop distans ?
Eh bien ! que réponds-tu ? — Tu veux une caresse ?
Seule ma main passant sur ton dos t’intéresse,
Et ton bon œil quêteur cherche à tirer du mien
Le regard amical, que doit suivre, ô mon chien,
Ton nom dit d’une voix que tu devines tendre.
C’est là le seul bonheur à quoi tu veux prétendre ?
Le voici ! C’est assez ! Allons ! Veux-tu finir !
Oui ! C’est un très beau chien ! Maintenant, va courir !
Attrape ces pigeons qui gloussent sur la route,
Ou bien vas aboyer à la vache qui broute
Et qui te montrera, pour jouer avec toi,
Les cornes de son front, en feignant de l’effroi.
Tu vois, il est joyeux ! De ce que je lui donne
Il se contente et vit ; pour lui, la vie est bonne.
Il est, en vérité, plus sage que nous tous,
Plus sage et plus heureux, et seuls ses bonds sont fous.
Il aime à l’épaisseur de ce qu’il peut connaître.
Mais nous, notre savoir se tourmente et pénètre
Plus loin que ne saurait avancer notre amour.
C’est pourquoi celui-ci se voit chétif et court,
Il devient anxieux, défiant de lui-même,
Tremblant de se sentir perdu dans un problème,
Lui qui doit régner seul, et veut être une foi !

Et c’est une leçon que j’ai faite pour toi.
…………..


AUGUSTE ANGELLIER.