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Ou, drapant aux couleurs de diverses étoffes,
Selon qu’ils sont savans, poètes, philosophes,
Leur rêve et leur désir que ce rêve soit vrai,
Ils ont, vers des instans plus solennels, soustrait
L’homme aux travaux bornés, aux tâches passagères
Dont il doit acheter les douceurs mensongères
Que demain et demain emmènent devant lui,
Ou payer sur-le-champ les besoins d’aujourd’hui.
Leur recherche impossible et constamment déçue,
Dans son long insuccès reste la seule issue
Hors de la grotte étroite et froide où les instans
Passent en ruisselets peureux et sanglotans
Dont tout le mouvement est l’appel de leur chute.
Dans un être qui n’est jamais qu’une minute
Ils ont mis des pensers, tout à coup entrouverts,
Qui dévorent le Temps et pèsent l’Univers ;
Et notre esprit haussé se croit, quand il retombe,
Meilleur que son destin et trop grand pour sa tombe.
S’ils n’ont rien trouvé d’autre, ils ont du moins trouvé
L’orgueil et la grandeur de ce qu’ils ont rêvé.
Et peut-être, après tout, que le même problème
Tient en un groupement de cristaux qu’au système
Où des astres lointains s’équilibrent entre eux,
Et qu’il avait raison lorsqu’il parlait de cieux
Dans l’entre-croisement des rayons de sa pierre.
C’est pourquoi, Thrasyllos, ne lui sois point sévère.
Comprends ce qu’il cherchait, ne le tiens pas pour fou
Parce qu’il voyait tant en un menu caillou ;
Ou plutôt, il n’est pas plus dément que les autres,
Et je connais les noms de sages et d’apôtres
Illustres pour des jeux qui s’égalent au sien.

THRASYLLOS


Je le crois volontiers ! — Où donc a fui mon chien ?
Arrive ici, Phylax ! et regarde ton maître !
Éprouvas-tu jamais le besoin de connaître
L’âme, le fond, la loi de l’être à qui tu dois
Des caresses, ton pain et le fouet quelquefois ?
Sauter autour de moi n’est pas une réponse !