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Pendant que Calliclès parlait, un homme, à peu près du même âge, venant du jardin public, s’est engagé sur la place. Il porte une tunique d’étoffe rude, une large ceinture de cuir à laquelle pend un couteau trapu, de hautes chaussures de chasse qui forment guêtre. Il a sur l’épaule un filet, et à la main un rameau dégarni de ses feuilles. Il est suivi par un grand chien de chasse qui marche soigneusement tout contre lui. En entendant Calliclès, il s’est arrêté, et, appuyé contre une des colonnes du portique, mais du côté de l’ombre, il regarde et écoute les deux personnages sans être remarqué par eux. Son chien se couche à ses pieds, la tête allongée sur les pattes croisées et les yeux fermés.

…………….


THRASYLLOS


Pour ôter tout prétexte à ta maussaderie,
Ecoute en regardant, regarde en écoutant,
Fais les deux, soit ensemble ou bien en alternant ;
C’est un jeu plus facile et de fatigue moindre
Que de vouloir, ainsi que tu le fais, disjoindre
L’éclat de la couleur, la couleur du reflet,
Et diviser le beau qui n’est beau que complet :
Ainsi tu pourras mieux supporter ma franchise !

D’abord il est de triple ou quadruple sottise
De vouloir ramener le plaisir au savoir,
De prétendre toucher ce qu’il est doux de voir !
Croire qu’un trait de grâce ou de beauté s’explique
Par un unique fait qu’exprime un mot unique.
C’est n’avoir point compris que d’infinis accords
Arrivent s’ajuster dans un geste du corps,
Qui viennent du profond des siècles et des races ;
Qu’un seul point de beauté tient à tous les espaces,
Et qu’à sa fine aiguille aboutit l’univers.
Si tu veux te plonger aux abîmes ouverts
Qui sont sous un regard, un accent, un sourire,
Dans l’abîme sur qui se clôt ce qu’on admire,
Tu te disperseras jusqu’au chaos premier,
Et ne retrouveras ton être coutumier
Qu’à la surface mince et cependant immense
Sous qui l’incertitude et la chute commence.