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les avances faites au prince sur ses revenus avant son émigration, et s’élevant à 2 750 660 francs, intérêts compris ; d’autre part, les 600 000 francs qui lui avaient été envoyés à Coblentz en 1792. Pour les avances antérieures à 1789, les héritiers du banquier obtinrent promptement une première satisfaction. Grâce à des influences qui s’exercèrent en leur faveur, ils parvinrent à se faire inscrire sur la liste des créanciers du prince auquel, lors de la saisie de ses biens, l’État s’était substitué pour les désintéresser. Leur créance fut liquidée en une inscription de rente de 137 844 francs représentant, « au denier vingt, » le capital qui leur était dû. Mais, par suite de la conversion des rentes en tiers consolidé, décrétée peu après, leur revenu se trouva réduit à 45 000 francs. La nécessité où ils se trouvèrent ensuite, pour faire face à des besoins urgens, de vendre partie de leurs titres, alors que les cours étaient très bas, le réduisit encore. Du capital initial, il ne leur resta bientôt plus que 426 000 francs.

L’opération était d’autant plus désastreuse qu’elle avait libéré le débiteur, sinon en fait, du moins en droit. De ce chef, le créancier n’avait rien à exiger de lui et ne pouvait attendre de dédommagement que de sa bonne foi et de sa loyauté. Mais il eût été vain d’y recourir, alors que la seconde portion de sa dette, — les 600 000 francs touchés à Coblentz par ses agens, — n’était pas encore remboursée et ne pouvait l’être tant que son exil n’aurait pas pris fin. C’est ce remboursement que réclamèrent d’abord les héritiers et qu’ils s’attachèrent à obtenir lorsque, après la rentrée des Bourbons, ils jugèrent opportun de faire valoir leurs droits.

Le Comte d’Artois reçut la marquise de Cornulier et se reconnut sans hésiter le débiteur de la somme réclamée. Mais, encore hors d’état de s’acquitter, il l’invita, ainsi que les co-héritiers au nom desquels elle lui parlait, à prendre patience, ce à quoi ils consentirent. Ils s’assuraient ainsi sa protection. Elle leur valut divers menus avantages, de maigres pensions aux moins fortunés d’entre eux, des bourses de collège pour les enfans et la nomination du fils de la marquise de Cornulier comme officier dans les chevau-légers de la garde du Roi, faveurs accordées alors à beaucoup d’émigrés et qui ne coûtaient rien à ceux qui les accordaient.

Les années s’écoulèrent sans amener de changement dans la situation du Comte d’Artois, et pendant lesquelles les héritiers