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plaintes, autant de réquisitoires écrasans. Quant à lui, ses protestations ne lui attirent que railleries. Il rédige alors un mémoire pour sa défense et il peut se croire sauvé lorsque, à l’issue de la tragique séance du 1er prairial, sa mise en arrestation est demandée par un représentant resté inconnu, et qui dit de lui qu’il a été le bourreau de la Manche.

A dater de ce moment, commencent pour le terroriste d’hier de cruelles aventures. Arrêté le même jour, emprisonné d’abord au Fort du Taureau à Morlaix, remis en liberté au moment où expiraient les pouvoirs de la Convention, il regagne Valognes, sa ville natale, et il y vit misérablement pendant la durée du Directoire, du Consulat et de l’Empire, objet du mépris des uns et de l’indifférence des autres. Une affaire louche le fait rayer, en 1809, du tableau des avocats de cette ville, sur lequel il s’était fait inscrire. Le premier retour des Bourbons le trouve dans un état voisin de la pauvreté. Il ne se préoccupe d’ailleurs que de se faire oublier.

Pendant les Cent-Jours, il relève la tête ; il signe l’Acte additionnel, ce qui lui vaut, quand les Bourbons reviennent, d’être proscrit : il part alors pour l’Angleterre. Mais, en débarquant à Portsmouth, il apprend que l’accès du territoire britannique lui est interdit. Il retourne alors dans son pays natal. Il y reste caché, malgré les recherches de la police, jusqu’au 6 décembre 1819. À cette date, il se laisse prendre à Helleville et, traduit en cour d’assises, il est condamné à la déportation, peine bientôt commuée en celle de la détention perpétuelle. Il est alors emprisonné au Mont Saint-Michel, où il meurt neuf ans plus tard, le 27 janvier 1828, ayant manifesté depuis longtemps, disent ses biographes, son repentir et son retour à la religion. Avec lui disparaissait le dernier des persécuteurs de la famille Magon.

Ce n’est pas seulement dans l’existence de douze de ses membres que la famille Magon avait été frappée. Elle l’avait été aussi dans leur fortune. Il fallut bien des jours pour qu’ils en recouvrassent les débris. Les héritiers de Magon de la Balue se trouvaient particulièrement atteints. Des biens de leur aïeul, estimés de son vivant à neuf millions, des sommes qui lui étaient dues, notamment par la liquidation Le Normand, il n’y avait guère que la créance sur le Comte d’Artois qui leur offrit une ressource réalisable. Cette créance était double : d’une part,