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vous n’avez pas craint de la tourner contre le peuple même, en voulant substituer un nouveau despotisme à la liberté ? Quoi, aviez-vous donc espéré que vos têtes coupables seroient inaccessibles à la hache de la loi ! Malheureux ! ne saviez-vous pas que le peuple entier avoit juré la mort aux tyrans de toutes les espèces, et que prétendre rétablir le trône, ou atteler la république au char du Triumvirat, c’étoit la même chose que prétendre anéantir 25 millions d’hommes qui ne vivent que pour la liberté ? Allez, perfides, allez rejoindre les ombres criminelles de vos précurseurs dans le chemin de la tyrannie. Vous n’êtes plus ; mais, vos noms chargés de l’exécration d’un peuple qui vous avoit cru ses défenseurs, et dont vous étiez les plus atroces ennemis, iront de siècle en siècle effrayer le crime jusques à la postérité. »

Sincères ou non, ces accens ne devaient pas être entendus de ceux à qui il les adressait, ni le mettre à l’abri des vengeances qu’il avait encourues. Le 6 août, il recevait du Comité de Salut public l’ordre de rentrer immédiatement à la Convention. Il dut sans doute s’inquiéter d’être ainsi rappelé. Mais il dissimula ses inquiétudes : ses réponses ne témoignent que de sa joie « de reprendre sa place dans le temple de la Liberté. » En même temps, il annonçait l’envoi au Comité d’une somme de 700 000 livres, saisie par lui chez des suspects, fugitifs ou arrêtés. Le 10 août, il célébrait l’anniversaire de la chute du tyran Capet et laissait entendre à ses confidens qu’à l’arrivée à Paris des députés absens, la Montagne triompherait de nouveau, écraserait la Plaine et tirerait la Convention du modérantisme où elle était plongée.

Dans les premiers jours de septembre, il était à Paris et reprenait son siège dans l’Assemblée. Durant les mois qui suivent, il n’est question de lui que dans les dénonciations qui arrivent de toutes parts à la Convention et qu’il semble dédaigner parce qu’il croit encore que ses collègues n’en tiendront pas compte. Mais, le 23 avril 1795, trois délégués de Saint-Malo, et parmi eux, un membre de la famille Magon, Magon de la Gervaisais, se présentent à la barre de la Convention et sont bientôt suivis de ceux de Coutances. Ils confirment les accusations précédemment envoyées. Ils dénoncent « le nouveau Cromwell, l’émule de Carrier et de Lebon, le proconsul féroce, ses forfaits, ses vols, ses indélicatesses et son luxe insolent. » Autant de