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événemens allaient le précipiter du piédestal sur lequel il s’était hissé. Il s’en doutait si peu qu’il s’apprêtait à envoyer au Tribunal révolutionnaire de nouvelles fournées, et que, le 5 thermidor, rendant compte au Comité de Salut public de sa mission, il se vantait d’avoir expédié à Paris, de Cherbourg, de Valognes, de Carentan, de Coutances et d’Avranches 131 prisonniers. Nous ignorons pour quelle cause ne figurent pas dans cette nomenclature ceux qu’il avait envoyés de Saint-Malo au Tribunal révolutionnaire.

C’est dans ces circonstances que, le 13 de ce même mois de thermidor, il recevait la nouvelle de ce qui s’était passé dans la capitale, le 9. Il semble, à en juger par son attitude, qu’il n’ait pas prévu d’abord que l’événement allait mettre un terme à la Terreur et le déposséder, lui comme tous ses pareils, de la puissance dont il avait fait un si criminel usage. A peine averti, il convoque les autorités civiles et militaires et leur fait connaître la révolution qui vient de s’accomplir. Le soir du même jour, il en fait part à la Société populaire qui est à Saint-Malo la succursale du club des Jacobins. Le lendemain, il se rend pour le même objet au camp de Paramé et enfin, montant dans une barque, il va apprendre la nouvelle aux équipages des vaisseaux mouillés en rade.

Partout, il brode sur le même thème : « Robespierre, Saint-Just, Couthon, ont conspiré contre la liberté, et la mort n’a été rien auprès de l’énormité de leur crime. » Oubliant que, la veille encore, il considérait les triumvirs comme ses amis, comme ses protecteurs, comme les plus puissans champions de la République, et qu’il leur prodiguait jusqu’à la plus basse servilité les flatteries et les louanges, il les accable de son indignation et de toutes les invectives que lui suggère son prétendu patriotisme. Ses proclamations, ses lettres aux Comités de Salut public et de Sûreté générale s’inspirent de ces sentimens qu’on peut croire plus joués que réels, et qui trahissent, en même temps que ses craintes, le désir de gagner les bonnes grâces des nouveaux maîtres de la France. Il apostrophe les tyrans qui ne sont plus et dont, la veille, il se faisait gloire d’être le courtisan.

« Quel étoit donc votre délire, audacieux conspirateurs, qui, osant vous croire essentiellement dépositaires de cette confiance trop longtemps accordée à la fausse apparence de vos vertus,