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De ces péripéties, nous n’avons à retenir ici que ce qui a trait aux victimes dont nous venons de raconter les malheurs. Parmi celles qui échappèrent à la mort, la marquise de Cornulier apparaît comme la plus digne de pitié. La grossesse à laquelle elle devait la vie ne vint pas à terme, et ce fut sans doute pour elle un sujet de douleur. Mais elle eut du moins la consolation, au milieu des drames affreux qui assombrissaient à jamais son existence, de voir finir sa captivité, de revoir ses enfans et de pouvoir prier en liberté pour les morts qu’elle pleurait. Nous ne savons si elle souhaitait qu’ils fussent vengés. Mais, si le doute à cet égard existe pour elle, il n’existe pas pour l’immense majorité des Français. La poussée de l’opinion était trop violente pour qu’il fût au pouvoir des nouveaux maîtres de la France d’y résister, encore que plusieurs d’entre eux eussent été les complices de tant de forfaits qui exigeaient une réparation. Ils s’empressèrent d’y céder. L’exécution de Dumas et de Coffinhal qui avaient présidé le Tribunal révolutionnaire, le procès des juges et des jurés de ce tribunal, de l’accusateur public Fouquier-Tinville, et leur condamnation, qu’avait précédée celle de Carrier, donnèrent au pays les satisfactions auxquelles il avait droit.

Pour Fouquier-Tinville et ses co-accusés, au nombre de vingt-sept, les débats s’ouvrirent le 8 germinal de l’an III (28 mars 1795), devant le Tribunal révolutionnaire reconstitué et firent revivre pendant quatre jours les atroces péripéties de l’année précédente dans un nombre considérable de dépositions émouvantes. Un des griefs imputés aux accusés était la condamnation, à la date du 1er thermidor, du jeune Bertrand de Saint-Pern, bien qu’il ne fût pas compris dans l’acte d’accusation. La marquise de Cornulier comparut de nouveau devant le tribunal, mais, cette fois, en qualité de témoin.

— Le 1er thermidor, déposa-t-elle, j’ai passé ici en jugement avec mon grand-père, ma mère, mon frère, mon mari et plusieurs autres accusés. Mon frère, âgé de dix-sept ans, contre lequel il n’y avait aucun acte d’accusation, a été condamné à mort pour mon père, âgé de cinquante-cinq ans, qui, depuis le 9 thermidor, a recouvré la liberté. Mon mari et moi n’avons pas reçu d’acte d’accusation ; mon mari ne voulut pas monter sans l’avoir reçu. On nous en apporta un dans lequel il était dit que nous avions assassiné le peuple le 10 août.