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parole à son mari et à son frère. Tous auraient pu en dire autant. Lorsqu’ils ouvraient la bouche pour se défendre, on leur imposait brutalement silence. En ces conditions, les débats ne pouvaient durer longtemps ; ils furent brefs et rapides, ou, pour mieux dire, il n’y en eut pas. Ils n’en furent pas moins déclarés clos. Après que Fouquier-Tinville eut prononcé son réquisitoire, les jurés se retirèrent pour délibérer. Les accusés furent ramenés dans la salle où, tout à l’heure, ils étaient réunis, et où ils devaient attendre leur sentence. Là, au milieu des larmes et des angoisses avant-courrières de la mort, — car, à l’exception du jeune Bertrand de Saint-Pern, qui espérait encore qu’on l’épargnerait, tous se savaient condamnés, — les effusions douloureuses recommencèrent.

Dans ce groupe de désespérés, Mme Conen de Saint-Luc se faisait remarquer par son énergie et par son empressement à prodiguer des consolations à tous ceux qui allaient périr avec elle. Un récit de caractère hagiographique, rédigé longtemps après l’événement, et inspiré surtout par le désir de la glorifier, nous la montre s’attachant à relever le courage du marquis de Cornulier, qu’il représente comme abattu et consterné au point d’avoir perdu toute présence d’esprit. Mais les détails qui s’y trouvent tiennent de la légende plus que de la vérité, et ce qui le prouve, c’est que l’auteur fait intervenir un prêtre auquel le marquis se serait confessé, alors qu’il est certain qu’aucun prêtre n’était présent. Ce qui est plus vrai, c’est que le jeune mari avait conservé assez de sang-froid, d’abord pour conseiller à sa femme de se déclarer enceinte, ce qui obligeait à surseoir pour elle à l’exécution du jugement, et aussi pour lui offrir, enveloppée dans un chiffon de papier, une boucle de ses cheveux. Ce chiffon n’était autre que la liste des jurés qui siégeaient à cette audience, et devait plus tard constituer contre eux une charge écrasante.

En ce qui concerne la déclaration de grossesse de la jeune femme, on pourrait douter de sa sincérité, si l’examen médical auquel la condamnée fut soumise, ne prouvait qu’elle était exacte. Une tradition de famille veut que l’état de Mme de Cornulier n’ait été révélé qu’alors qu’elle était déjà montée dans la fatale charrette « hors de laquelle elle avait été alors jetée à coups de pied. » Mais est-il vraisemblable que son mari eût attendu le dernier moment pour utiliser le moyen auquel il