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guillotiner quand même, prédiction qui, fort heureusement pour lui, ne devait pas se réaliser, ce qui ne l’empêcha pas d’ailleurs, au lendemain du procès, d’être porté sur la liste des condamnés, qui se vendait dans les rues de Paris. Un peu plus tard, au procès intenté contre les bourreaux après la chute de Robespierre, il rendra témoignage de toutes les abominations qui se sont déroulées sous ses yeux en ces circonstances tragiques.

Cependant, l’heure était venue, pour les accusés, de monter sur les bancs. Mais, comme ils allaient être entraînés à l’audience, les époux Cornulier refusèrent de s’y rendre, en alléguant qu’ils n’avaient pas reçu leur acte d’accusation ; on avait oublié de le leur remettre. On le leur apporta ; il y était dit « qu’ils avaient assassiné le peuple le 10 août. »

Les scènes qui suivent dépassent en horreur tout ce qui peut être imaginé. On a vu que Bertrand de Saint-Pern n’était pas compris dans l’acte d’accusation où il n’était question que de son père et de sa mère. Il n’en fut pas moins emmené avec les autres. Assis sur les gradins, à côté d’un gendarme dont sa jeunesse avait excité la pitié et qui s’efforçait de le rassurer, il lui avait pris la main qu’il serrait fiévreusement. Il demanda au citoyen Dumas, qui présidait l’audience, à lire son extrait de baptême qui prouvait qu’il n’avait que dix-sept ans, et un certificat duquel il résultait que, le 10 août, il n’était pas à Paris. Dumas lui coupa la parole en disant qu’il n’avait pas besoin de ses attestations. Comme le pauvre petit insistait, le président, se tournant vers le jury, s’écria :

— Citoyens jurés, vous voyez bien qu’en ce moment, il conspire, car il a plus de dix-sept ans.

Le gendarme, qui se nommait Huel, a raconté plus tard cet épisode accablant pour les juges et pour les jurés qui siégeaient ce jour-là.

« Je vis par le propos du président, dépose-t-il, et par un geste expressif d’un juré en cheveux ronds, que ce malheureux jeune homme était perdu. Je retirai ma main. Il médit :

« — Je suis innocent ; je ne crains rien. Mais ta main n’est pas ferme.

« Dumas le fit changer de place. »

Les autres accusés ne furent pas mieux traités. La marquise de Cornulier, échappée seule à cette boucherie, véritable massacre d’innocens, déclarera plus tard que le Tribunal a refusé la