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s’éleva. Inversement, M. Buisson s’adressa à des catholiques sans que personne lui reprochât ni les lois scolaires ni la séparation. Dans l’instant où la Commission négociait avec M. Clemenceau pour l’entendre et se faire entendre de lui sur la réforme électorale, tout le pays était plein du bruit de cette réforme ; tous les journaux en avaient fait le thème quotidien de leurs articles ; plusieurs centaines de milliers de citoyens étaient venus nous écouter, des brochures, des tracts, des feuilles de démonstration avaient été répandus ou allaient bientôt l’être par millions d’exemplaires. Fallait-il croire que seul en France, malgré tous ses agens et tous ses informateurs, malgré toutes les oreilles et tous les yeux qu’il a partout, le gouvernement en était réduit à chercher ce que pouvait bien être la représentation proportionnelle ?

Puisque la Commission se trouvait impuissante à l’amener devant elle, il ne nous restait qu’une ressource : nous passer de lui et forcer la discussion. Certes, la partie était périlleuse, car il n’y a guère d’exemple nulle part qu’une réforme électorale se soit jamais faite sans le gouvernement, et bien moins encore contre lui. Mais on pouvait toujours discuter, on n’avait le choix qu’entre cela et rien ; si peu que ce fût, c’était pourtant un peu plus que rien ; c’était encore du bruit, tombant d’une tribune d’un retentissement incomparable ; c’étaient, en un seul lieu et en un seul jour, mille réunions par-dessus les quatre-vingts que nous avions données. Nous avions pris la précaution, atout hasard, de faire inscrire la réforme électorale à l’ordre du jour de la Chambre, aussitôt après le dépôt du rapport de M. Flandin. Le 12 novembre 1908, nous demandâmes que ce rapport fût discuté ; on s’en tira évasivement. Je le demandai de nouveau le 11 mai 1909 : cette fois, M. Modeste Leroy, l’un des défenseurs acharnés du scrutin d’arrondissement, vint dire qu’il était d’accord avec M. Clemenceau pour demander de préférence la discussion de la proposition de loi sur le statut des fonctionnaires. A la vérité, M. Clemenceau, présent, nia le concert, mais faiblement, sans insister, et comme M. Labori plaidait pour le projet de réforme des conseils de guerre, M. Modeste Leroy s’y rallia sur l’heure, M. Clemenceau en fit autant, et tous deux se retrouvèrent d’accord, au moins dans le plaisir d’avoir évité la discussion de la réforme électorale. Mais l’affaire des conseils de guerre ne pouvait traîner éternellement ; et nous avions