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respectable et malheureux frère, de notre fidèle ami de la rue de Richelieu. J’espère aussi que mon fils, sa femme et ma belle-fille se souviendront de leur malheureux père.

« Adieu, ma chère bien-aimée, le Dieu que nous adorons vous donnera des forces pour supporter vos souffrances et vos malheurs ; j’implore sa miséricorde !

« On trouvera cette lettre dans mon petit portefeuille, que j’ai pu conserver et que je chéris parce qu’il vient de vous ; j’espère qu’elle vous sera rendue. »

Cette lettre est datée du mois de messidor, et par conséquent précédait de peu de jours le sanglant dénouement de la tragédie que nous racontons.


III

Le 1er thermidor de l’an II de la République une et indivisible (19 juillet 1794), dix-sept accusés, formant une fournée, comme on disait alors, comparurent devant le Tribunal révolutionnaire. Parmi eux figuraient sept membres de la famille Magon : Magon de la Balue, Magon de la Blinaye, Magon de la Lande, la marquise de Saint-Pern-Magon, son fils Marie-Bertrand, son gendre et sa fille, marquis et marquise de Cornulier. A signaler encore Jean Coureur et Christophe Gardie, anciens employés des Magon, victimes de leur dévouement, Adrien Legris, qui avait exercé jusque-là, les fonctions de commis greffier au Tribunal révolutionnaire et dont les papiers trouvés chez Magon de la Balue avaient déterminé l’arrestation en prouvant qu’il était l’intendant d’un émigré de marque, le duc d’Havre. Il semble d’ailleurs que cette découverte qui devait le perdre fut faite au dernier moment, car on ne l’arrêta que quelques instans avant l’ouverture du procès, à cinq heures du matin, chez lui, étant encore au lit. A sept heures, il était à la Conciergerie ; à neuf heures, il recevait son acte d’accusation ; à dix heures, il comparaissait devant le tribunal, et dans l’après-midi du même jour, il était guillotiné. »

Parmi ces victimes vouées à l’échafaud, une famille noble, la famille Conen de Saint-Luc était représentée par trois de ses membres : le mari, ancien conseiller au Parlement de Bretagne, âgé de soixante-quinze ans, sa femme, cinquante-trois ans, leur fille, trente-trois ans, religieuse dans l’Ordre des Dames de la