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antérieurement à cette date, c’est-à-dire la veille même de l’arrestation de la marquise de Saint-Pern et de ses enfans. Du reste, à quelque époque et en quelque lieu qu’il se soit passé, il n’en est pas moins significatif quant aux basses intrigues dont fut l’objet Magon de la Balue. Le voici, tel que le raconte Berryer.

En sa qualité de conseil des prisonniers, il reçoit un jour la visite d’un inconnu qui, sans lui révéler son nom, lui propose de les faire sortir de leur prison et de les conduire à la frontière. A l’appui de sa proposition, il montre à l’avocat trois passeports en blanc, signés par Robespierre, Couthon, Carnot et Barère. Comme prix du service qu’il se dit en état de rendre, il demande trois cent mille francs. La somme est sans doute considérable. Mais Magon de la Balue est en état de la payer puisque, affirme l’inconnu, il en porte sur lui quinze cent mille en assignats cousus dans sa robe de chambre. Berryer répond qu’il ne peut accepter ces offres ni les repousser sans avoir conféré avec son client, ce qu’il fera sur-le-champ s’il est autorisé à communiquer avec lui. Il lui est aussitôt répliqué que l’autorisation lui sera donnée et que lorsqu’il se présentera pourvoir Magon de la Balue dans la maison de santé où celui-ci est détenu, les portes lui seront ouvertes. Elles s’ouvrent en effet, « comme par miracle, » dit-il.

Magon de la Balue s’émeut en l’écoutant et en apprenant qu’on n’ignore plus qu’il a caché dans ses vêtemens une somme considérable. Puisqu’on le sait, c’est qu’il a été trahi et probablement par un de ses employés : il l’avait été déjà par son cuisinier, sur la dénonciation duquel l’argenterie de l’hôtel a été découverte et envoyée à la Monnaie. Sur le fond de la proposition, il ne veut se prononcer qu’après avoir consulté son frère qui occupe une chambre voisine de la sienne. Magon de la Blinaye est appelé, et les deux prévenus tiennent conseil avec leur avocat. Malgré les efforts de celui-ci, lequel s’efforce de les décider à ne pas repousser la chance de salut qui leur est offerte, ils refusent de se prêter à ce qu’on attend d’eux. Ils ne croient pas qu’on puisse les condamner, puisqu’ils sont innocens et en état de le démontrer. D’ailleurs, l’offre qui leur est faite ne présente aucune garantie, et peut-être cache-t-elle un piège. Les efforts de Berryer restent vains, et lorsque l’inconnu se présente de nouveau chez lui pour avoir une réponse, il ne peut que lui transmettre le refus de ses cliens.