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jamais. Le Comité est instruit que cette ville est le centre d’une nouvelle conspiration. Méfie-toi des hommes qui t’environnent. Les trahisons veillent ; aie les yeux ouverts ; frappe les traîtres ; un instant de sommeil perdrait la patrie. »

Cette lettre, qui porte la date du II nivôse (31 décembre), semble avoir été écrite uniquement pour réchauffer le zèle du conventionnel. Les faits qu’elle lui signalait n’existaient pas. A supposer qu’à une époque antérieure, la ville de Saint-Malo eût été le théâtre d’un complot, elle ne renfermait plus de conspirateurs. Les royalistes qui auraient pu conspirer étaient presque tous en prison, et dans la population terrorisée, personne ne songeait à les imiter. Tout tremblait devant le proconsul. Ceux-là mêmes qui le considéraient comme un monstre vomi par les enfers n’auraient pas osé faire mine de s’en indigner. La peur paralysait toutes les audaces et tous les courages. Lorsqu’il passait dans les rues, les gens qui le rencontraient le saluaient respectueusement, convaincus que toute marque de désapprobation aurait pour eux des conséquences funestes. L’avant-veille du jour où le Comité de Sûreté générale lui avait écrit la lettre qu’on vient de lire, lui-même l’informait qu’à Saint-Malo, on avait appris avec joie la prise de Toulon et qu’on se préparait à fêter cet événement : « Nous chanterons joyeusement l’hymne de la Liberté. Nous danserons la Carmagnole et mainte farandole, et ça ira. » Les recommandations du Comité n’eurent pas moins pour effet de l’embraser d’une fureur plus active et plus malfaisante. A Saint-Malo comme à Saint-Servan, il redoubla de violence et multiplia les arrestations. Lorsqu’il eut fait incarcérer environ cinq cents suspects, il dressa et fit afficher des listes portant leurs noms en invitant les patriotes à dénoncer les faits qui seraient à leur connaissance, et susceptibles d’aggraver les charges qui pesaient sur ces infortunés. En même temps, il les accablait d’avanies et de vexations. Il se flattait de l’espoir de les pousser à la révolte, ce qui lui aurait permis d’en finir d’un seul coup avec ses victimes, « en mettant le feu à la prison. » N’avait-il pas dit : « — Ils périront tous ! »

Après avoir terrorisé Saint-Malo, il en partit au commencement de 1794, pour aller « se continuer » dans les autres villes soumises à son autorité. Mais il promettait de revenir bientôt. Il revint en effet au bout de quelques semaines, et la malheureuse cité malouine se ressentit plus encore de la