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que c’était trop peu et comme les juges alléguaient qu’il était nécessaire, avant de condamner les gens, de s’assurer s’ils étaient coupables, il répliqua :

— A quoi bon toutes ces lenteurs ? Qu’avez-vous besoin d’en savoir si long ? Le nom, la profession, la culbute ; et voilà le procès terminé.

Résolu à appliquer ce principe, il réorganisa la commission sous le nom de « Comité Sans-Culottique » et lui donna le pouvoir de juger révolutionnairement. Les membres, craignant de lui déplaire, entrèrent dans ses vues et, pour utiliser leur bon vouloir, il traduisit devant eux, non seulement les rebelles pris les armes à la main, mais encore des prêtres, des religieux, des femmes même, comme complices de belligérans. Il y eut alors de véritables boucheries. Les estimations les plus modérées fixent à cinquante-quatre le nombre des exécutions qui eurent lieu à Saint-Malo. On conduisait les condamnés au bord de la mer et on les fusillait. Le 23 janvier 1794, plusieurs femmes périrent ainsi, dont une seule avait plus de trente ans. Les historiens du temps affirment que, parmi ces débris de l’armée vendéenne, victimes de châtimens inexorables, il y avait des malades, voire des mourans qu’on fusilla dans leurs couvertures. Après le 9 thermidor, quand ces faits abominables furent dénoncés à la Convention, ces couvertures existaient encore : elles étaient teintes de sang et percées de balles. Il n’est pas étonnant, on le reconnaîtra, que le proconsulat de Le Carpentier ait laissé à Saint-Malo et à Saint-Servan, comme partout où son pouvoir s’était exercé, les plus sinistres souvenirs. On verra plus loin comment, après avoir, par tant de barbares procédés, terrorisé et ensanglanté ces deux villes, il mit le comble à sa cruauté en expédiant au Tribunal révolutionnaire à Paris le trop-plein des prisons. « Voilà encore du gibier que je vous envoie, » écrivait-il au Comité de Sûreté générale au cours de ses atroces opérations.

Il importe au surplus de faire remarquer qu’elles étaient l’objet, de la part du Comité, d’encouragé mens et d’éloges, propres à surexciter l’imagination de Le Carpentier, et à le rendre plus cruel. « Nous ne pouvons que t’engager à te continuer toi-même, » lui écrivait-on à Granville. Le langage des lettres qu’il recevait à Saint-Malo était plus pressant encore. « L’état de Saint-Malo est inquiétant aujourd’hui plus que