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nombre croissant, laisseront à d’autres moins audacieux la terre déjà appauvrie par une culture sans engrais et sans fumier, pour se ruer à l’assaut des concessions, dans l’Alberta et le Saskatchewan.

J’entends bien que ces colons ne sont pas tous des Yankees pur-sang. Dans ces statistiques figurent des Canadiens, qui reviennent à la terre natale. Les Polonais et les Scandinaves constituent, à eux seuls, la majorité de ces immigrans. Sur ces cerveaux, l’empreinte américaine ne saurait être que superficielle. Elle n’en est pas moins entretenue par les magazines et par les journaux. Pas une ferme, où l’on ne trouve, sur les tables, quelques-uns de ces périodiques, dont les industriels yankees ont le secret. Les feuilles quotidiennes sont tributaires des câbles américains. Les gens de l’Ouest ne voient les choses anglaises qu’à travers l’Amérique. Les nouvelles leur arrivent transformées à l’américaine. Quand elles parviennent jusqu’à ces maisons isolées, elles n’ont plus la moindre sonorité britannique. La ville, où ils vont régler leurs affaires et prendre quelques distractions, n’est pas anglaise d’aspect. « L’accent avec lequel on parle, écrit M. André Siegfried, l’aspect extérieur des gens, leurs hôtels, leurs bars et leurs théâtres, tout cela laisse croire au visiteur, qu’il est chez l’oncle Sam, et non, après tout, chez John Bull. » Regina et Vancouver sont aussi loin de Toronto et de Trois-Rivières que l’est Québec. Et le traité de réciprocité ne contribuera pas à effacer l’empreinte, dont la civilisation continentale, par l’afflux des marchandises, des capitaux et des colons, marque la Prairie canadienne. L’Ontario, la patrie des fermiers écossais et des industriels anglais, est désormais serré entre deux Canadas, l’un francisé, l’autre américanisé, qui pourraient bien l’étouffer.


III

Est-ce à dire que la suzeraineté de la Couronne britannique soit compromise ? Non. Les protestations indignées, qu’ont soulevées dans la presse canadienne les gestes sensationnels de deux parlementaires yankees et les commentaires pessimistes de quelques feuilles anglaises, constituent une manifestation précieuse d’un loyalisme fidèle. Elle était inutile. Le simple bon