Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

massives et inélégantes. La vente des fruits, la fabrication du beurre, l’élevage du bétail ont remplacé la culture du blé. Et l’aspect verdoyant de cette campagne, coupée par des réseaux de fils de fer, semée de maisons isolées, a un aspect britannique, singulièrement différent de celui que donnent à la province de Québec les chaumières de France, groupées sur le bord de la route, autour d’un clocher. Le yeoman de l’Ontario, qui se rend rarement au bourg voisin, vit isolé dans son cottage, lit soigneusement son journal, exécute pieusement ses devoirs civiques, reste une silhouette intéressante du Canada d’autrefois, mais n’est pas une force de l’avenir au même degré que les paysans prolifiques et acharnés de l’Est, enracinés au sol dont ils ont fait une seconde Normandie, ni que les industriels du blé, ces maîtres de l’Ouest.

Leur exploitation couvre une étendue inconnue des homesteads de l’Est et du Centre : elles n’ont pas moins de 80 et souvent 100 hectares. Une Beauce immense, semée de quelques bouquets d’arbres, débris de la forêt primitive, encerclée par les cimes neigeuses des montagnes prochaines. Pour exploiter avec fruit ces immenses labours, un capital est nécessaire à l’émigrant. La terre est vaste et le climat rude. L’hiver vient vite et dure longtemps. Il faut semer et moissonner rapidement. Le spectacle d’une demi-douzaine de charrues ou de moissonneuses taillant, à la suite l’une de l’autre, dans la terre brune et dans les herbes d’or, n’a rien d’exceptionnel. La batteuse n’est point un de ces instrumens modestes qui, actionnés par une paisible locomobile, devant une foule de gamins recueillis, dépose le grain dans des sacs et rend la paille intacte. L’agriculteur de l’Ouest économise la main-d’œuvre et dédaigne les petits produits. Sa machine géante, à l’aspect difforme, rejette par une énorme cheminée, dans un nuage de fumée, la paille hachée en morceaux et dépose le blé, par un large tuyau, dans des réservoirs mobiles. Quand ils sont pleins, deux paires de chevaux les conduisent à la ville. Le grain est versé dans un entrepôt et conservé pour le compte du fermier. Ce paysan, propriétaire d’un outillage compliqué, et d’un capital important, au courant des procédés de l’agriculture américaine et des fluctuations du marché mondial, est un industriel. Il va à la Bourse et vend à terme. Il est actif et entreprenant. Il ignore la patience. Il méprise la résignation. Sa maison à l’aspect