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relit le billet doux ; de sir Wilfrid Laurier. La guerre a donc été inutile ? Les victoires auraient-elles perdu leur action unificatrice ? Le sang des colonies et de la métropole a-t-il coulé, en vain, sur les mêmes champs de bataille ? Il se refuse à croire qu’un pareil échec, qu’une semblable évolution soient possibles. Des préoccupations électorales des circonstances passagères ont dicté au premier Ministre cette fin de non recevoir. Son attitude changera lorsqu’il se retrouvera à Londres, dans le cadre de la cité impériale, sur les bords du fleuve historique, sous l’action de la dernière et de la plus accueillante des aristocraties politiques. Les souvenirs de 1897 retrouveront toute leur fraîcheur ; et les mêmes paroles s’imposeront à sa pensée fidèle. Ces espérances furent cruellement déçues. Sir Wilfrid Laurier resta strictement cantonné dans les limites posées par la dépêche du 3 février 1902. Les philippiques d’Henri Bourassa, les manifestations de Trois-Rivières et de Montréal avaient laissé dans la souple et prudente intelligence de l’homme d’Etat une impression plus profonde que les splendeurs du Jubilé impérial.

Sans doute, sir Wilfrid Laurier suggère l’idée d’établir un traitement de faveur pour les blés canadiens, à l’aide d’une détaxe sur le droit d’importation établi le 14 avril 1902, et qui sera supprimé le 28 avril 1903, sous la poussée formidable des clameurs populaires. Mais il ne demande et ne propose rien de plus. Le Zollverein est pour lui une formule vide de sens, parce qu’elle est sans avenir. La Canadian Manufacturers’Association veille au grain. Elle fit savoir, dans ses congrès annuels, que l’industrie naissante n’entendait pas faire les frais de la « fédération économique. » Elle veut vivre et grandir. Le Canada ne sera pas « le jardin » de l’Angleterre, mais une nation, qui subviendra à tous ses besoins, et dont les hauts fourneaux seront demain aussi célèbres que ses terres à blé. Qu’il suffise, dit-il, à la mère patrie de pouvoir troquer, grâce à un tarif différentiel, « les produits, que nous ne manufacturons pas, » contre les céréales et les viandes, les fromages et les fruits, dont les Iles Britanniques ont besoin pour ne pas mourir de faim.

En refusant, cinq ans avant le Cabinet Asquith, ce pacte restreint, le ministère Balfour renonce au seul lien qu’il pouvait nouer. Le Kriegsverein, qu’il rêve de substituer à un Zollverein irréalisable, est énergiquement écarté par le Canada.