Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Banque, afin qu’elle reste en mesure de le mettre, le cas échéant, au service de l’État.

I

On s’est souvent demandé pourquoi la France, dont le génie financier s’est si clairement et brillamment manifesté de nos jours, avait été en retard par rapport à d’autres pays pour l’organisation de sa banque d’émission. La Grande-Bretagne, la Suède, la Hollande, l’Italie, l’avaient précédée de beaucoup dans cette voie ; c’est à l’an 1694 que remonte la fondation de la Banque d’Angleterre, celle de Suède date de 1656 ; les banques de Gênes, de Venise, d’Amsterdam, de Hambourg, florissaient à des époques où aucune institution semblable n’existait chez nous. Mais il est un fait qui explique la lenteur que la France a mise à suivre l’exemple d’autres nations européennes : c’est l’aventure extraordinaire du début du xviiie siècle, l’arrivée à Paris de l’Écossais Law, la fondation par lui de la fameuse banque royale au début de la Régence, et les désastres qu’elle entraîna. Il est inutile de rappeler ici les détails de cet épisode financier, qui eut un si grand retentissement et des conséquences lointaines et prolongées : l’histoire en a été écrite par M. Levasseur dans l’excellent livre qu’il a consacré au système de Law, et tout récemment par l’auteur du présent article[1]. Mais on sait assez à quels excès de spéculation donnèrent lieu les actions de cette banque et des Compagnies des Indes et autres qui y avaient été rattachées, pour comprendre que ce n’était pas d’un établissement dirigé comme celui-là qu’on pouvait attendre l’organisation rationnelle de la circulation fiduciaire en France. Non seulement Law, qui avait cependant commencé par affirmer qu’il agirait selon les principes inflexibles du crédit et de la monnaie, se lança dans les entreprises les plus démesurées et d’un caractère tout différent de celles qui conviennent à une banque d’émission, mais il prétendit, par une législation qui ne tarda pas à devenir draconienne, substituer de force le papier aux espèces et donner à son billet une valeur égale et même supérieure à celle du numéraire. Le résultat inévitable ne tarda pas à se produire : en dépit de tous les arrêtés, le public refu-

  1. Banques d’émission et Trésors publics, par M. Raphaël-Georges Lévy, 1 volume in-8, chez Hachette et Cie.