Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/542

Cette page n’a pas encore été corrigée

336 REVUE DES DEUX MONDES. ancêtres déifiés qui m’entourez dans l’air, Mânes augustes à qui j’ai rendu hommage au fond de vos temples d’or, descendez sur moi, assemblez-vous autour de votre fille indigne et défail- lante!... Cet homme, cet étranger sur ma route, en un tel jour!... divinités dont je suis descendue, écartez de mon âme jusqu’à son souvenir. Dans un serment solennel, j’ai dépouillé ma personnalité terrestre. Rien de moi n’est plus à moi. Fille du Ciel, impératrice et régente, j’appartiens toute à ma mission surhumaine... Faites que je triomphe des faiblesses qui étaient le charme de la vie. Faites que je ne sache plus qu’il y a des fleurs, des perles et des parfums; accordez-moi d’oublier à jamais que l’amour est l’unique royaume de la femme, et la beauté sa vraie puissance. Que ma poitrine désormais ne soit que la prison de marbre de mon cœur glacé ; s’il se révolte et veut battre encore, que ma volonté lui devienne un geôlier inflexible!... Aidez-moi, descendez, purs Esprits de l’air! Faites-moi rigide comme les déesses de jade, qui tiennent les paupières baissées pour ne rien voir des choses de ce monde!... (Les deux suivantes reviennent parle jardin au bas du sentier impérial, et se prosternent.) Première suivante. — L’astrologue est prêt à répondre à Votre Majesté. L’Impératrice. — Qu’il vienne. (Les suivantes se relèvent et s’éloignent.) Ce serpent qui m’enlaçait. Ah ! ce ne peut pas être lui!... Son regard dominateur, rivé au mien, restait noble et clair, pourquoi me serait-il apparu sous cette forme hostile et affreuse? Non, dans une âine qui a ces yeux-là, aucune trahison ne saurait germer... Ce ne peut pas être lui... Et cependant... je m’enivrais de cette étreinte glacée : alors, quel autre au monde?... SCÈNE 11 LES MÊMES, L’ASTROLOGUE. (Il a cent ans. Il a une barbe blanche, raide et ébouriffée. 11 est aveugle et conduit par un jeune garçon. Il veut se prosterner, mais l’Im- pératrice l’arrête.) L’Impératrice. — Reste debout, vénérable vieillard; ton âge et (es yeux éteints te dispensent des formules.