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portefeuille du Travail, qui ne s’est pas usé entre les mains de M. Lafferre. D’autres choix s’expliquent moins. M. Messimy avait prononcé, il y a quelques semaines à peine, un discours très vif contre certaines opérations coloniales que nous faisons à tort ou à raison au centre de l’Afrique ; la Chambre l’avait fort maltraité ; elle s’était prononcée contre lui à une énorme majorité, et la presse, en général, ne lui avait pas été moins sévère. En conséquence, M. Monis lui a attribué le ministère des Colonies. Pourquoi ? Le motif de cette fantaisie nous échappe. Il était certainement inutile de souligner de ce trait particulier le caractère de tout le Cabinet, comme si on avait voulu le faire mieux ressortir. Quel est ce caractère ? C’est d’avoir été pris dans la minorité. M. Briand avait eu la majorité le 24 février ; sa politique avait reçu l’approbation de la Chambre. Pourtant, qu’a fait M. Monis ? Il est allé chercher ses ministres parmi les adversaires du programme à continuer. Il a fait plus, et la plupart de ses ministres, après leur nomination, ont imité son exemple : il est allé, ils sont allés faire une visite à M. Combes comme pour prendre attache avec lui, lui demander ses conseils, recevoir humblement son investiture. L’intention était claire : c’est à une politique que nos nouveaux ministres ont voulu rendre hommage. Cette politique, le pays n’en veut plus et on peut mettre M. Monis au défi de la suivre : au reste, on a vu bientôt qu’il n’en voulait pas lui-même. Nous craignons pour lui qu’il n’ait trouvé auprès de M. Combes le genre de force que M. Briand a trouvée auprès de M. Lafferre. Ses courbettes et celles de ses collègues devant M. Combes pèseront sur le ministère et, un peu plus tôt ou un peu plus tard, lui coûteront cher. Les mares stagnantes ne peuvent plus être un champ de gouvernement. Tout le monde l’a senti, les uns vivement, les autres plus vaguement, et le ministère a été accueilli partout avec une froideur pleine de réserve. L’impression qu’on en a eue est qu’il manquait de franchise. Que signifiaient ces avances à M. Ribot et à M. Poincaré si on devait, le lendemain, faire acte de vasselage envers M. Combes ? Le ministère semblait vouloir tout ménager. Nous nous trompons toutefois quand nous disons que la froideur qui lui a été témoignée a été générale : à peine était-il formé que M. Jaurès a exprimé son enthousiasme avec le lyrisme qui est dans sa nature. Il a épanché une joie sans mélange dans son journal l’Humanité. Ce n’était pas, à la vérité, un ministère socialiste que celui de M. Monis, mais c’était du moins un ministère nettement radical, qui ne pourrait vivre qu’avec le concours des socialistes à la discrétion desquels le mettaient sa composition et ses premiers actes. Ce