Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le triomphe du radicalisme socialiste en dehors de toute préoccupation des intérêts vitaux du pays.

À la Marine aussi on a mis un civil, M Delcassé, et nous y regrettons l’amiral Boué de Lapeyrère qui y avait réussi. Cependant le cas est différent. Nous aurions préféré que M. Delcassé n’entrât pas dans la combinaison actuelle : il vaut mieux que cela, de même qu’il valait mieux que d’autres combinaisons auxquelles il a appartenu : sa politique a souffert, autrefois de certains voisinages qu’on lui reproche encore et qui n’étaient pas pour augmenter ni son autorité morale, ni sa force réelle. Mais la manière dont il avait quitté le ministère, il y a quelques années, devait lui faire désirer d’y rentrer, et nous désirions nous aussi qu’il y rentrât. Notre seul regret est que l’occasion n’ait pas été meilleure. Dans sa longue retraite, il n’est pas demeuré inactif. Les circonstances l’ont porté à étudier les questions maritimes ; il les connaît fort bien aujourd’hui ; il s’en est fait une véritable spécialité et, lorsqu’elles se sont posées devant la Chambre, il est devenu pour un gouvernement un collaborateur très utile ou un adversaire très redoutable. Il s’est trouvé un jour l’adversaire de M. Thomson, qui était alors ministre de la Marine, et M. Thomson a été renversé du coup. Il aurait été naturel, à ce moment, d’appeler M. Delcassé à le remplacer ; mais le président du Conseil était M. Clemenceau, et M. Clemenceau ne pouvait pas souffrir M. Delcassé. Une nouvelle discussion maritime ayant eu lieu, M. Clemenceau a pris lui-même la parole et il a eu l’imprudence de lancer quelques-uns de ces traits, qu’il manie mieux d’ordinaire, contre M. Delcassé alors président de la Commission de la Marine. Mal lui en a pris : en quelques phrases, M. Delcassé a exécuté M. Clemenceau après M. Thomson, et, comme M. Thomson, M. Clemenceau a disparu. Au contraire, le 24 février, le jour où M. Briand a donné sa démission, dans une séance du matin, M. Delcassé est monté à la tribune pour appuyer l’amiral Boue de Lapeyrère et il a eu un succès personnel éclatant. Tant d’habileté méritait sa récompense. M. Delcassé avait fait siennes les questions de marine, il présidait la Commission avec une compétence incontestée, il avait la confiance de la Chambre. Si on avait eu tort de l’ignorer lors des crises précédentes, on ne pouvait plus continuer. M. Delcassé est une force pour le ministère ; il pourrait même arriver que cette force fût un jour plus forte que le ministère lui-même. Sous les réserves que nous avons dû faire, nous souhaitons à M. Delcassé, dans l’œuvre qu’il entreprend à la Marine, le succès que méritent l’intelligence, la ténacité et le patriotisme de ses efforts.