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pour le type de journal qui avait la vogue parmi les Parisiens d’hier. La chronique en était le clou d’or, la parure et l’orgueil. Ici encore, nous avons besoin d’un peu de complaisance pour le suivre. Elles sont devenues illisibles les chroniques éblouissantes des journaux d’alors ; mais il est de toute évidence qu’elles n’ont pas été écrites pour être lues par nous : il suffit qu’elles aient ébloui les contemporains. Aujourd’hui la chronique est morte, le ténor est sans voix et la presse parisienne, dûment américanisée, est devenue le domaine de l’énorme, du colossal, du monstrueux. Il y a un type Dreadnought pour les journaux comme pour les cuirassés. L’un emploie douze linotypes pour la composition, dix-sept machines pour le tirage, reçoit trois mille lettres par jour, occupe huit cents employés, a vingt mille dépositaires, quinze inspecteurs, six lignes téléphoniques. Un autre possède cinq immeubles qui couvrent une superficie de trois mille quatre cents mètres carrés et trois grandes machines américaines qui débitent cent mille numéros à l’heure. Et ainsi de suite. C’est le moderne Léviathan. Aux journaux quotidiens, aux Revues, aux Magazines, joignez les publications illustrées, les journaux de finances, les journaux de théâtre, les journaux de sport. Quel est le résultat de cette multiplication du papier imprimé ? A quoi sert à la presse d’avoir entassé Pélion sur. Ossa ? Le résultat, c’est qu’elle était une puissance autrefois ; elle n’est plus maintenant qu’un bruit et un bluff. M. Arthur Meyer l’a très bien dit, et il a eu du courage à le dire. Snobisme et cabotinage, voilà les bienfaits actuels du « quatrième pouvoir. » Beau succès pour une époque où je me suis laissé dire que fonctionne une « École du journalisme ! »

À ces futurs confrères soucieux d’apprendre leur métier par l’exemple, qui vaut mieux que toutes les démonstrations, je recommande la lecture de ces Souvenirs. Ils y verront se dessiner entre les pages, entre les lignes, une silhouette de parfait journaliste, tel que M. Emile Faguet le dépeint dans sa Préface, « infiniment curieux de toute nouveauté et d’œil et d’oreille ouverts à tous les spectacles et à tous les bruits de ce monde. » Pareillement les futurs historiens de notre société qui voudront, comme les Goncourt, en tout connaître, jusqu’à un menu de diner et jusqu’à un patron de robe, auront beaucoup à glaner dans ces notes du témoin le plus indulgent, — et le moins dupe.


R. D.