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devait assister, l’année suivante, à la tragique amende honorable d’Uriel da Costa ; — et il est presque certain que Baruch, ayant alors dépassé la limite traditionnelle de la septième année, aura figuré parmi les premiers élèves de l’institution. De l’enseignement qu’il avait pu recevoir jusque-là, aucune trace positive ne nous est parvenue. Sans doute un maître du voisinage lui avait appris l’alphabet hébreu, d’après l’ingénieuse méthode qui consistait à enduire de miel chacune des lettres, sur une feuille de carton, et à les faire lécher par les petits élèves, au fur et à mesure qu’ils réussissaient à les reconnaître. Mais une anecdote rapportée par le médecin Lucas nous révèle que, dès avant son entrée à l’école ou fort peu de temps après, le futur auteur du Traité théologico-politique a eu déjà l’occasion, sinon de prendre tout à fait en méfiance la ferveur religieuse, du moins de la concevoir comme n’étant pas forcément associée avec la probité :


Voulant éprouver son fils, le père de Spinoza lui donna l’ordre d’aller toucher une somme d’argent que lui devait une certaine vieille femme juive d’Amsterdam. L’enfant l’ayant trouvée occupée à lire la Bible, la vieille lui fit signe d’attendre qu’elle eût achevé sa prière. Après quoi Baruch lui dit sa commission, et cette bonne vieille, lui ayant compté son argent : « Voilà, dit-elle en lui désignant sa table, ce que je dois à ton père ! Puisses-tu être un jour aussi honnête homme que lui ! Jamais il ne s’est écarté de la loi de Moïse, et le ciel ne te bénira qu’autant que tu lui deviendras pareil. » En achevant ces paroles, elle prit l’argent pour le mettre dans le sac de l’enfant : mais le petit Baruch voulut d’abord, malgré la résistance de la vieille, compter à son tour la somme qu’elle lui remettait ; et il découvrit qu’il y manquait deux ducatons, que la pieuse vieille avait fait tomber dans un tiroir par une fente pratiquée dans le couvercle de la table. Enflé du succès de cette aventure, et de voir que son père y eût applaudi, il s’attacha désormais à observer ces sortes de gens avec plus de soin qu’auparavant.


Beaucoup plus profonde et durable encore, toutefois, fut l’impression qui résulta chez lui des leçons de ses professeurs. L’école où il venait d’entrer comprenait sept classes, dont chacune avait sa salle distincte et son maître particulier. « Le matin, au coup de huit heures, nous dit un contemporain, élèves et maîtres arrivent de la ville, chacun se dirigeant vers sa classe ; et la séance dure trois heures, après quoi tout le monde s’en retourne chez soi. L’après-midi, tous reviennent au coup de deux heures et travaillent jusqu’à celui de cinq, ou bien encore, l’hiver, jusqu’au moment où commencent les prières à la synagogue. » La première classe était surtout consacrée à l’étude des rudimens de la grammaire hébraïque et du calcul ; mais dès