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REVUES ÉTRANGÈRES.

était un marchand, de fortune assez modeste, mais hautement considéré parmi son peuple à la fois pour son zèle religieux et l’exemplaire austérité de ses mœurs. L’enfant avait perdu sa mère de bonne heure, et avait eu le chagrin de la voir remplacée, presque sur-le-champ, par une belle-mère dont l’attitude à son égard aura probablement contribué à le rendre pour toujours ignorant des simples et bienfaisantes émotions familiales. Mais du moins a-t-il pu apprendre dès le début, dans la maison de son père, cette exquise politesse mondaine qui allait être par la suite l’un des traits les plus frappans de son caractère. Les juifs portugais et espagnols d’Amsterdam avaient, en effet, rapporté de leur long séjour au-delà des Pyrénées des sentimens et des manières d’un ordre infiniment plus relevé que ce qu’en montraient leurs coreligionnaires débarqués de Pologne ou d’Allemagne sur les bords de l’Amstel. « Les Portugais, — écrivait un voyageur du temps, — sont ici des juifs aristocratiques, qui toujours à la synagogue siègent noblement avec leur tabatière en main. Les juifs allemands sont comme des paysans, tandis que ceux-là font vraiment figure de gentilshommes. »

Au moment de la naissance de Baruch, en 1632, Michel Despinoza demeurait dans l’île de Vlooienburg, ou Cité des Puces, ainsi nommée à cause de l’énorme quantité de haillons que l’on y rencontrait le long des quais et dans les ruelles. Mais la maison qu’habitaient les parens du petit garçon était, à beaucoup près, la plus élégante et spacieuse de l’Ile tout entière ; et c’est là qu’il avait eu à vivre ses premières années, s’amusant du mouvement pittoresque des nombreux marchés qui avaient lieu aux environs, de semaine en semaine, ou bien jouant au jeu espagnol du castillo avec des camarades, — dont aucun, d’ailleurs, ne semble être devenu pour lui un véritable ami, — ou encore se glissant dans la maison de son vénérable voisin, le vieux Jehuda Templo, pour y admirer une merveilleuse reconstitution en bois de l’antique Temple de Salomon, chef-d’œuvre de science et de patience dont Baruch devait conserver jusqu’à sa mort, parmi ses livres, une très intéressante description illustrée.

Ainsi il avait grandi, assez tristement selon toute apparence ; et sans doute sa petite âme réfléchie et avide de savoir avait attendu impatiemment le jour où il lui serait permis de prendre sa part des leçons que recevaient, autour de lui, des camarades un peu plus âgés. Aussi bien une grande et magnifique école nouvelle allait-elle s’ouvrir pour les enfans juifs d’Amsterdam, dans le courant de l’année 1639, — tout contre cette Nouvelle Synagogue portugaise où le petit garçon