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ses objections de théoricien, et renforcer au contraire son inclination primitive de poète.


III

Ce n’est pas ici le lieu de retracer la grande crise qui a bouleversé la vie de Hugo à partir de 1833, crise non seulement passionnelle, mais intellectuelle aussi, dont il est sorti avec une vision radicalement changée de la destinée humaine et de la nature, avec une philosophie tout autre, une poésie plus profonde et plus sincère, une sensibilité plus large et plus douloureuse. Quand on songe combien toutes les impressions se tiennent dans une âme, — et particulièrement dans une âme de poète moderne, — on peut s’attendre que cette rénovation de l’être de Victor Hugo ait son reflet dans sa façon de sentir l’œuvre virgilienne.

Et d’abord, pour commencer par le fait le plus tangible, il n’est pas douteux que les émotions diverses suscitées dans l’âme de Hugo par sa passion naissante n’aient eu pour effet de rendre Virgile plus présent à sa pensée. Relisons à ce point de vue les vers d’amour recueillis dans les Chants du Crépuscule ; relisons, par exemple, Hier la nuit d’été…, Oh ! pour remplir de moi sa rêveuse pensée…, ou Au bord de la mer. Dans ces admirables paysages que le poète étale aux yeux ravis de Juliette Drouet, il n’y a peut-être pas un seul trait qui soit directement emprunté de Virgile : mais n’est-il pas vrai que l’ensemble le rappelle invinciblement ? Cette nature douce, paisible, grandiose aussi, indulgente quand elle offre à l’homme une consolation pour ses inquiétudes ou un encouragement pour ses amours, cette nature dont Hugo invite les mille voix à accompagner son hymne d’adoration enthousiaste, c’est bien, en somme, la nature telle qu’on se la rappelle après avoir lu les Bucoliques, agrandie, magnifiée, mais non changée. D’autre part, quand il veut clore ces mêmes Chants du Crépuscule par un hommage de pieux ; respect à l’épouse délaissée, Hugo emprunte tout naturellement son épigraphe aux paroles du vieil Anchise devant le destin de Marcellus : date lilia. Mots « cités à contresens, » dit M. Chabert. Est-ce bien sûr ? Hugo sait parfaitement le sens lugubre de l’expression virgilienne ; il s’en souviendra plus tard lorsque, frappé lui aussi par la mort prématurée d’un être jeune et cher, il