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imitateur. De là les sentences rigoureuses que Victor Hugo est obligé de prononcer.

Mais il les prononce à regret, en ayant soin de les adoucir par le témoignage hautement avoué de sa sympathie pour le poète ancien, qui, malgré tout, lui reste cher. Dans le même article sur Vigny où il lance une allusion si outrageante à l’Alexis de Virgile et au Ligurinus d’Horace, il n’oublie pas de signaler l’amitié tendre et noble qui unissait Horace et Virgile l’un à l’autre, amitié dont les modernes ont peine à sentir la douce beauté. L’ode à Lamartine que nous citions tout à l’heure, si elle sacrifie Virgile à Moïse, le traite cependant avec un certain respect. Et dans la préface de Cromwell enfin, Hugo insiste sur les qualités intrinsèques de Virgile, comme s’il voulait se dédommager de ce que ses principes le forcent à blâmer dans l’Enéide. L’épopée y expire, mais elle y expire « dignement ; » notons aussi cette restriction : « Avec toute sa poésie, Virgile n’est que la lune d’Homère. » Il est donc poète, en dépit du Credo romantique d’après lequel il n’a pas le droit de l’être ? En réalité, il y a lutte, dans l’esprit de Hugo, entre le dogmatisme systématique et le goût personnel. Sur ce point, le fidèle élève de Chateaubriand ressemble à son modèle. La thèse du Génie du Christianisme amenait Chateaubriand à proclamer l’infériorité de Virgile, comme de tous les anciens, auprès des modernes, qui jouissent des bienfaits d’une religion plus vraie et d’une morale plus pure : Chateaubriand ne s’est pas dérobé à cette conséquence. Mais en même temps il était bien. trop artiste pour ne pas sentir la grâce virgilienne en ce qu’elle a de doux et de mélancolique, de pur et de noble à la fois, et de fait, c’est peut-être dans le Génie que l’on trouverait les commentaires les plus exquis de certaines pages des Bucoliques et de l’Enéide. Victor Hugo est un peu dans la même situation complexe. Par un de ces démentis heureux que nos impressions spontanées infligent souvent à nos opinions artificielles, il se trouve ramené vers l’auteur latin au moment même où il doit signaler ses défauts ou ses lacunes. Le théoricien, en lui, désapprouve Virgile, mais le poète continue à s’en laisser charmer.

Du poète ou du théoricien, lequel aurait remporté la victoire définitive ? Il est impossible de le dire. Car, un peu après 1830, Victor Hugo devait trouver de nouvelles raisons de mieux comprendre et de mieux aimer Virgile, qui allaient balayer toutes