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A ses doctrines morales, d’abord. Non seulement spiritualiste, mais catholique exalté, il ne peut pas approuver sans réserves un écrivain païen, et très païen quelquefois. Il aura donc, dans un article sur l’Eloa de Vigny, une parole sévère pour « ces poésies monstrueuses par lesquelles Anacréon, Horace, Virgile même, ont immortalisé d’infâmes débauches et de honteuses habitudes, » et opposera à cette sensualité pervertie l’amour idéalisé que seules » des âmes chrétiennes peuvent connaître. L’année suivante, dans une Ode adressée à Lamartine, il affirmera que l’infériorité morale des anciens entraîne forcément une infériorité esthétique. Si les « sages » (entendons par là les « classiques » et les « libéraux » : les deux ne font qu’un à cette date) disent au poète moderne, d’un ton de reproche :


Nous aimons qu’on nous charme en des chants bucoliques,
Qu’on y fasse lutter Ménalque et Palémon…

Virgile n’a jamais laissé fuir de sa lyre
Des vers qu’à Lycoris son Gallus ne pût lire,


lui au contraire, Hugo, rassure son disciple :


Que t’importe, si Dieu
Parfois dans le désert t’apparait face à face
Et s’il le parle avec la voix ?


Voilà donc Virgile condamné, parce qu’il n’est pas chrétien. Et un peu plus tard il l’est encore, pour une raison toute littéraire cette fois, parce qu’il n’est pas assez original. Dans la préface de Cromwell, l’Enéide est assez durement traitée. Elle a le tort de venir trop tard : c’est le « dernier enfantement » dans lequel la poésie épique « expire. » Surtout, elle a le tort de n’être qu’un pastiche de l’Iliade : « Rome calque la Grèce, Virgile copie Homère… Le reflet vaut-il la lumière ? le satellite qui se traîne sans cesse dans le même cercle vaut-il l’astre central et générateur ? Avec toute sa poésie, Virgile n’est que la lune d’Homère. » Le mot final est bien dédaigneux, si peut-être l’idée n’est pas totalement dénuée de justesse. En somme, Hugo ne se dissimule pas que l’œuvre virgilienne est peu conforme aux dogmes de son école. Les romantiques déclarent que la vraie poésie est religieuse : Virgile est tout profane et sensuel. Ils déclarent que la vraie poésie est créatrice : Virgile n’est qu’un