Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la visite du champ de bataille de Sedan : « Il y avait là des pommiers qui faisaient penser à Eve, et des saules qui faisaient penser à Galatée. » Mais, si imprévue que soit, en un pareil lieu, une pareille évocation, elle n’en est que plus caractéristique : elle nous atteste la fidélité acharnée du poète à ses premières admirations. L’aimable scène pastorale, qui, en 1839, a coloré d’un reflet de poésie antique sa rencontre du Rigi, qui, depuis, lui a donné une saisissante allégorie pour traduire sa conception du monde, obsède encore son imagination à soixante-dix ans, devant la vallée sinistre où a failli périr la France. Peu importe la diversité des sujets, des dates et des circonstances : qu’il s’agisse de récits de voyages, de méditations philosophiques, ou d’impressions de la guerre, Virgile est toujours là.

C’est que Virgile n’est pas, pour Victor Hugo, un de ces « auteurs à consulter » auxquels on se réfère pour chercher juste le passage dont on a besoin, et qu’on oublie ensuite, sitôt qu’on a refermé leurs livres. Il a eu avec les poèmes de son « maître » un commerce bien autrement suivi, affectueux et intime ; il se les est assimilés dans toute la force du terme, et c’est pour cela que le souvenir lui en revient en toute circonstance, et peut s’adapter à tous les usages. Ses réminiscences virgiliennes ne sont si nombreuses et si fidèles, elles ne se plient si souplement aux plus diverses intentions, que parce qu’elles sont absolument spontanées. Il est facile de s’en apercevoir lorsqu’on les rencontre dans les pages les moins « livresques, » les moins « littéraires » de Victor Hugo. Ce n’est pas seulement quand il veut écrire une ode ou un fragment épique qu’il songe au poète latin : les vers qu’il aime tant l’accompagnent dans tous les épisodes de sa vie réelle et familière. Ils se mêlent, par exemple, aux impressions de nature qu’il a ressenties dans l’Est de la France et en Allemagne et réunies dans le livre du Rhin : les émigrans alsaciens le font penser au Mélibée de la première Eglogue ; il répète, pour saluer la Champagne, l’apostrophe de Virgile à l’Italie ; la vallée entre Chauffontaine et Verviers lui paraît d’une « douceur virgilienne ; » il se plaît, du haut du Klopp, à voir « les monts se rembrunir, les toits fumer, les ombres s’allonger et les vers de Virgile vivre dans le paysage. » Voilà bien des traces de poésie lutine dans cet ouvrage qu’a priori l’on croirait tout pénétré de fantaisie médiévale et germanique ! Que de citations de Virgile encore on relèverait dans les lettres les moins