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Pan, noir tisserand que nous entrevoyons
Et qui file, en tordant l’eau, le vent, les rayons,
Ce grand réseau, la vie…
Double rayon tordu d’ombre et d’aube ravie…


Ainsi, depuis l’époque des premières controverses romantiques jusqu’à celle de l’exil, ce mot de Virgile ne cesse pas d’habiter la pensée de Hugo, — et ce qui est vrai de ce mot l’est de bien d’autres.

En se répétant avec cette fréquence, une citation change forcément de caractère et d’usage. Celle dont nous venons de suivre la destinée ne se présente pas toujours au poète français sous le même aspect : ici, elle lui sert d’argument dans une polémique littéraire ; là, de boutade dans une argumentation d’avocat ; ailleurs, elle n’est guère qu’un ornement ajouté pour finir la phrase par une formule à effet ; ailleurs enfin, elle est le point de départ d’où l’écrivain s’avance à la conquête d’une expression nouvelle, à la fois imitée et originale. On en peut dire autant d’un passage des Bucoliques que Hugo semble avoir aimé entre tous, de cette jolie et vive esquisse où l’on voit Galatée jeter en folâtrant une pomme à son berger, puis s’enfuir vers les saules tout en désirant se faire voir. Ces vers gracieux ont été directement imités dans les Chansons des rues et des bois, dans le Groupe des Idylles de la Légende des Siècles, dans Toute la lyre, etc. A cela, rien que de très naturel. Mais souvent Hugo s’empare de l’image que lui offre le poète latin, et la transporte du domaine bucolique dans des ordres d’idées essentiellement différens. A la fuite de Galatée, il compare tantôt la timidité hardie de Fantine devant Tholomyès, tantôt la fausse modestie de la violette, tantôt même, dans le Post-scriptum de ma vie, l’énigme totale des choses, « cette Galatée formidable, » qui « fuit sous les prodigieux branchages de la vie universelle, mais vous regarde et désire être vue. » Voilà la bergère de la troisième Eglogue démesurément agrandie, jusqu’à être le symbole de la création mystérieuse. Et voici maintenant le même souvenir qui reparaît à propos de choses beaucoup plus humbles : dans son voyage en Suisse, Hugo rencontre une petite paysanne qui lui jette trois prunes et s’en va ; la comparaison avec Galatée s’impose, et l’érudit voyageur n’a garde d’y manquer. Ce qui est plus inattendu sans doute, c’est de rencontrer une allusion identique jusqu’au milieu des impressions poignantes éprouvées