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chrétien, lui écrit-il, estimant l’art plus que la foi, tu as fait une œuvre telle que les prostituées elles-mêmes fermeraient les yeux pour ne pas la regarder. » Le scandale était trop fort, et si un pape, tel que Paul III, par affection pour son artiste favori, pouvait accepter et défendre le Jugement dernier, qui pourrait s’étonner qu’un de ses successeurs, le pape Paul IV, le réformateur de l’Eglise, ait voulu détruire une œuvre aussi indécente, placée dans la propre chapelle des Papes, au-dessus de l’autel même où ils officiaient. Par respect pour l’homme que, malgré ses erreurs, on ne cessait de considérer comme le plus grand génie de l’Italie, on ne la détruisit pas, mais on ne put la conserver qu’en la retouchant et en en faisant disparaître les plus grossières nudités[1].

Désormais c’est contre de telles nudités que l’on va s’insurger, et comme les sculpteurs italiens, surtout les Florentins n’ont d’autres désirs que de reproduire la figure nue, on va se passer d’eux, et, pour les rares ouvrages qui seront faits à Rome, on s’adressera à des écoles moins engagées dans le mouvement de la Renaissance, à des hommes du Nord de l’Italie, à des Milanais et même à des Français et à des Flamands.

Voici quelques noms des sculpteurs qui ont travaillé à Rome à la fin du XVIe siècle : Stéphane Maderne, Ambrogio Buonvicino, Silla, Hippolyte Bugi, milanais ; Paolo San Quirico, de Parme ; Camille Mariani, de Vicence ; Guillaume Bertelot, français ; Nicolas Cordieri, lorrain ; Nicolas d’Arras et Gilles, flamands.

La proscription des nudités, tel est donc le fait essentiel de cet âge. L’art doit être religieux et ne saurait se complaire à des formes que les vertus chrétiennes condamnent. On sent quelle réaction cela représente, quelle révolution il y a dans cet abandon de tout ce que la Renaissance avait tant aimé et comment par là cet art se relie aux doctrines du Moyen âge. On peut comprendre ici combien j’ai eu raison de dire que l’art de la Contre-Réforme pourrait plus justement s’appeler l’art de la Contre-Renaissance. Et si j’insiste, c’est que cela n’est pas

  1. Le Jugement dernier date de 1636-41. C’est la dernière œuvre que Michel-Ange ait faite dans le style païen de la Renaissance. Déjà dans les deux fresques de la Chapelle Pauline de 1642 son style se modifie et depuis ce moment il va pour ainsi dire renoncer complètement à la sculpture et à la peinture. Ses poésies nous diront ses remords des fautes de sa vie et dans la construction de. Saint-Pierre il se montre un des créateurs du nouveau style chrétien de la Contre-Réforme.